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18 juillet 2024 23 h 05 min

« Indochine: De Carte Postale à Colère Explosive »

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Phuong Xuan a du mal à se rappeler la date exacte de l’incident, mais d’après ses souvenirs, cela s’est probablement passé au début des années 1940. Elle se souvient distinctement de l’époque où, au Couvent des Oiseaux, situé à Dalat, connu comme les « Alpes vietnamiennes », les écolières entonnaient « Maréchal, nous voilà ! » Bien qu’elle ne se souvienne pas de la date exacte, ce jour important a marqué un tournant décisif dans sa vie et restera gravé dans sa mémoire.

Phuong Xuan, aujourd’hui âgée de 94 ans, vit actuellement à Ho Chi Minh-Ville. Issue d’une famille dont le père était inspecteur d’école, elle a grandi dans un milieu fortement influencé par la culture française, où le français était sa langue d’éducation. En fait, elle admet qu’elle ne réalisa pas réellement son identité vietnamienne avant qu’elle ne grandisse. Les seuls Vietnamiens qu’elle connaissait étaient les domestiques de sa maison.

Le Couvent des Oiseaux était un lieu unique et extraordinaire pendant cette période. Comme son nom l’indique, cet endroit était dirigé par des religieuses, principalement françaises. Le couvent surplombait la ville pittoresque de Dalat, connue pour ses maisons coloniales et ses chalets nichés parmi les pins. Les jeunes filles de l’élite française, ainsi que certains enfants de l’élite locale, comme Phuong Xuan, y étaient éduqués. C’était une période où l’Indochine était sous l’occupation japonaise : l’amiral Decoux, à la tête des forces navales françaises en Extrême-Orient et nommé gouverneur en juin 1940 par le maréchal Pétain, dirigeait les affaires courantes de Hanoï, capitale de l’Indochine.

L’incident s’est produit lors de l’hommage aux drapeaux. Deux drapeaux sont présents : l’un représentant la République Française, l’autre l’Annam, un protectorat établi en 1884 par la France dans une région centrale du Vietnam, ancien siège d’un empire déchu désormais doté de pouvoir symbolique. Le drapeau en question comprend un rectangle jaune – couleur impériale – où le tricolore français est positionné en trois bandes verticales dans le coin supérieur gauche. On peut imaginer le tableau : durant une matinée ensoleillée, les ombres des deux drapeaux se déploient sur la cour de l’école de couvent. Toutes les écolières sont assemblées pour l’occasion, peut-être en train de chanter encore « Maréchaaal… »

« Je n’ai rien vu venir », se souvient Xuan Phuong. Soudainement, son amie Juliette Ricardoni marche en avant, piétine l’ombre projetée par le drapeau de l’Annam et crie : « Saloperie d’Annam, saloperie d’Annam ! ». C’est à ce moment-là que l’univers de l’adolescente s’effondre : cette explosion de haine lui fait prendre conscience qu’elle n’est pas française. « Dans ma classe, nous n’étions que cinq « indigènes » et j’ai senti la colère monter en moi : je venais de devenir vietnamienne. » Plus tard, elle comprend également combien de ses compatriotes, particulièrement les serviteurs des colons, sont dédaignés ou maltraités. «Peu de temps après, je vais chez une autre amie. On prend le thé. La servante renverse accidentellement de la confiture de fraise sur la table, et ma camarade commence à lui crier dessus…»

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