Karim (qui a demandé que son nom soit modifié) est stupéfait. « Nous espérions obtenir entre 300 et 400 signatures, mais nous en avons obtenu presque 1 300 », s’exclame ce diplomé en sciences politiques de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P). Dans une lettre envoyée au président de l’université le 27 mai, 1 256 élèves et anciens étudiants ont demandé à ce que l’institution privée d’enseignement supérieur, propriété de l’Office Chérifien des Phosphates (OCP), rompe toutes relations avec « ses partenaires israéliens ». Cette demande survient bien que le Maroc et Israël aient repris leur relations officielles en décembre 2020.
Le principal souci exprimé : les accords de partenariat que l’UM6P a signé avec huit universités israéliennes. Ces universités sont, selon eux, en train de conduire des programmes de recherche en collaboration avec l’armée ou les services de sécurité d’Israël, à l’instar de l’institut d’études sur la sécurité intérieure de l’université Ben-Gourion du Néguev, et seraient donc « directement impliquées dans des infractions et des violations manifestes des droits humains fondamentaux du peuple Palestinien et des droits de l’homme en général », soulignent les signataires, qui ont formé un « mouvement contre la normalisation académique ».
Cette initiative est surprenante pour l’UM6P, c’est une première. Il s’agit d’une institution privée, une des plus prestigieuses du Maroc, inaugurée par le roi Mohammed VI en 2017 où son fils, le prince héritier Hassan, continue ses études. La pétition a surtout reçu le soutien des étudiants, précisent les promoteurs du mouvement, estimant leur nombre à « environ mille », soit près d’un cinquième du corps étudiant de l’université.
Les manifestants affirment que l’administration est au courant de tous les noms des signataires de la pétition. Le 20 juin, plusieurs représentants de ces derniers ont été convoqués par un membre du conseil de gestion de l’UM6P, qui agit également en tant que médiateur du groupe OCP. Un individu présente à la réunion témoigne que le médiateur était mal à l’aise et a exprimé l’impossibilité pour l’UM6P de rompre les liens avec les huit universités israéliennes. Suite à une recherche de commentaires, la direction de l’établissement n’a pas répondu.
Des cérémonies de remise de diplômes ont été annulées par l’UM6P, par crainte d’actions potentielles du mouvement à l’intérieur de l’université. Une telle cérémonie, prévue à l’avance, devait avoir lieu le vendredi 12 juillet à la Faculté de Gouvernance, Sciences Economiques et Sociales (FGSES), mais a été « abruptement annulée » la veille, selon les signataires de la pétition. Supposément, le port de keffiehs et la lecture de messages de soutien à la cause palestinienne étaient prévus lors de cette cérémonie. L’administration a cité des « problèmes techniques et logistiques » comme motifs d’annulation, d’après un étudiant.
Des cérémonies de remise de diplômes à l’université publique, où les étudiants avaient prévu de porter des symboles pro-Palestiniens, ont également été annulées. Ceci s’est notamment produit à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines (FLSH) de l’Université Mohammed V de Rabat. De plus, le doyen de l’Ecole Supérieure de Technologie (ESTC) de l’Université Hassan II de Casablanca aurait refusé de remettre une distinction à une étudiante, car elle portait un keffieh. Le Syndicat Marocain de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (Smesrs) a exprimé son indignation dans un communiqué.
En plus des étudiants, le corps professoral s’implique également à certains endroits. À Tétouan, plus de 600 enseignants et membres de la faculté de l’Université Abdelmalek Essaâdi ont déposé une pétition auprès de son président le 31 mai, demandant la fin des relations avec l’Université de Haifa. « Il nous a affirmé que c’était juste un protocole de coopération [signé en septembre 2022], que rien de concret ne s’est produit et qu’il allait demander son annulation lors de la prochaine réunion du conseil universitaire », explique l’un des signataires, Noureddine Elmtili, membre du Smesrs.
Une autre pétition similaire serait en cours de préparation à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II (IAV) de Rabat, l’une des plus grandes écoles de formation du Maroc. Le professeur Mohamed Naji indique qu’elle sera soumise à l’administration dès le début du semestre prochain et ajoute que des étudiants élaborent également une lettre de protestation. Le problème concernerait un accord signé avec l’Université Hébraïque de Jérusalem, explique le représentant local du Smesrs, qui critique la situation à Gaza et en Cisjordanie, ainsi qu’une collaboration à sens unique entre Rabat et Tel-Aviv.
Des accords prétendus
« Cela fait plus de trente ans que le Maroc entretient des relations agricoles avec Israël. Malgré cela, nous sommes juste un marché pour les produits israéliens, sans véritable transfert de technologie et avec une extrême dépendance en matière de semences de légumes et d’équipement d’irrigation goutte à goutte », note l’enseignant. Il qualifie les sociétés israéliennes Netafim, Hazera et Mehadrin de quasi-monopoles au Maroc.
Dans le contexte académique marocain, les collaborations entre les universités locales et les institutions ou centres de recherche en Israël sont perçues comme des « arrangements fictifs » ou « manquant de transparence », selon certains manifestants. Ces accords ont largement été mis en place dans une perspective politique, indique Karim, et de nombreux enseignants soutiennent que la majorité ne sont pas actifs. Malgré la fin de l’année universitaire et les campus vides, la protestation continue, affirment les signataires de la pétition. Un mouvement étudiant contre la normalisation académique est en train de voir le jour, incorporant des institutions publiques et privées, dont l’Université Internationale de Rabat (UIR) et l’Université Euromed de Fès (UEMF), qui ont, comme l’UM6P, établi des partenariats en Israël. Hamid Abchir, syndicaliste et ancien directeur adjoint de l’ESTC, prévoit une rentrée mouvementée.
Ces manifestations universitaires surviennent alors que le Maroc continue de renforcer ses liens avec Israël, notamment en matière de défense. D’après la presse israélienne, Rabat prévoit d’acheter deux satellites d’observation de type Ofek 13 à l’entreprise d’État Israel Aerospace Industries (IAI), destinés à remplacer les modèles Mohammed VI-A et Mohammed VI-B, conçus par Airbus et Thales. Ce contrat de défense d’un milliard de dollars est le plus important signé par Rabat depuis la normalisation des relations avec Tel-Aviv.