Discuter de sport dans le quotidien Le Monde nécessite une certaine humilité. Chaque journaliste a déjà été surpris par la réaction d’un athlète décoré ou d’un potentiel médaillé affirmant : « Tiens, Le Monde parle de sport ? » Il semble que l’autorité du renommé quotidien s’arrête souvent à l’entrée des stades, des piscines ou des gymnases. Il est également noté que certains lecteurs souffrant d’allergies à l’information sportive ont déjà arrêté de lire ou ont fermé l’article numérique au troisième mot… Ou encore, des collègues qui, suite à l’analyse du match de la veille autour de la machine à café, considéreront ce sujet comme une place gâchée qui aurait pu être utilisée pour des problématiques plus importantes. « Chez Le Monde, on en apprend plus sur le sous-secrétaire d’État qui contrôle l’Ouganda que sur Bernard Hinault », ironisait San-Antonio, connu aussi comme Frédéric Dard, dans Baise-Ball à La Baule (Fleuve, 1980).
Cela fait déjà huit décennies que Le Monde couvre le domaine sportif. Avant même l’annonce récente que Paris, France serait l’hôte des Jeux olympiques d’été, le sport avait déjà fait ses marques dans ce journal. Précisément, le sport a trouvé sa place dans Le Monde depuis le 27 décembre 1944. Dans le huitième numéro de ce quotidien, malgré le format réduit de la page, le mot « sport » était en évidence. Il était placé au-dessus du score d’un match de hockey sur gazon non identifié se déroulant à la Croix-Catelan, dans le bois de Boulogne, à Paris. A côté de ce résumé sportif, se trouvait un petite note sur la situation de l’approvisionnement, énumérant de nombreuses pénuries et indiquant qu’il n’y aurait pas de chocolat pour Noël. C’est comme si on annonçait : « Des jeux, mais pas de nourriture… ou du sport, mais pas de chocolat… »
Le récit fascinant de la création de la rubrique sportive a été brillamment narré par Olivier Merlin dans son livre autobiographique (Une belle époque. 1945-1950, Olivier Orban, 1986). Ancien rédacteur du Temps et lieutenant de l’armée française en 1940, Merlin avait passé près de cinq ans dans un camp de prisonniers avant de retrouver Hubert Beuve-Méry au milieu de 1945. Beuve-Méry, alors jeune directeur du Monde et âgé de 43 ans, appréciait ce cadet de cinq ans au demeurant hédoniste, en contraste direct avec sa propre réputation de janséniste. Beuve-Méry propose à Merlin en 1945 de rejoindre la section politique, une proposition comparable à celle de la Légion d’honneur. Toutefois, Merlin déclinait poliment. « Je souhaiterais établir une rubrique dédiée au sport », se risqua-t-il à proposer. André Chênebenoit, un vétéran du journalisme, fut scandalisé par cette proposition. « Une rubrique sportive! Avec seulement deux pages, ou même une seule recto verso, et autant de papier sérieux gaspillé… » Le sport n’était pas considéré sérieux : une accusation a été formulée. Pourquoi Le Monde devrait-il s’occuper de telles frivolités?
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