En parallèle de son « opération spéciale militaire » en Ukraine, le Kremlin fait face à des problèmes internes de grande envergure : des incendies de forêt qui ravagent les vastes étendues de l’Est du pays. Loin d’être confinés aux zones distantes et peu habitées, comme ils le faisaient habituellement, ces incendies détruisent aujourd’hui des terrains plus importants qu’auparavant, ont annoncé les autorités le 10 juillet. Plus d’un million d’hectares de forêt ont déjà été dévastées, avec près de 500 points d’incendie à travers le pays, notamment en Sibérie et dans l’Extrême-Orient russe, et en particulier en Iakoutie, dépassant les estimations annuelles par des dizaines, voire des centaines de pour cent.
Déclenchés plus tôt que d’habitude cet été à cause d’une vague de chaleur précoce et forte, ces incendies continuent de s’étendre. Depuis le début de l’année, 6 000 points d’incendie ont détruit près de 3,5 millions d’hectares – une superficie équivalente à celle de la Normandie. Un décret gouvernemental avait fixé à 5,1 millions d’hectares la limite de destruction pour toute l’année 2024. Cependant, vu la progression actuelle des incendies, ce plafond pourrait être atteint dès le 20 juillet.
Irina, une résidente de la région d’Irkoutsk, partage son désespoir alors que la taïga continue de brûler. Les incendies ont dépassé les limites anticipées, augmentant de 328 % la zone prévue pour l’année. Irina s’exprime au Monde sous anonymat et fait écho à ce que les locaux dénoncent constamment – un problème mondial initié par la chute de notre industrie forestière et des moyens de sauvegarde, surtout aériens. Elle déplore la disparition progressive des forêts, mais souligne que la mauvaise gestion n’est pas le seul problème. Pour elle, la question repose dans l’état d’esprit des individus et des autorités qui refusent d’admettre et d’affronter le problème.
La situation a été exacerbée par le conflit en Ukraine. Les moyens de combattre ces feux sont résolument insuffisants, un manquement rendu encore plus cruel par la crise ukrainienne. Plusieurs sociétés de fabrication d’équipements de lutte contre l’incendie ont quitté la Russie ou réorienté leur production vers le complexe de la défense. De plus, des hommes habituellement mobilisés pour combattre les incendies pendant l’été dans ces régions défavorisées se sont retrouvés sur le front en Ukraine, attirés par des salaires attractifs.
Dans le climat de liberté d’expression de plus en plus réduit en Russie, les plateformes sociales sont devenues des lieux de débat critique concernant la question de la gestion des incendies. Par exemple, les citoyens des petits villages situés au nord du lac Baïkal tels que Chara, Novaya Chara et Ikabya partagent leurs histoires de désespoir et de lutte personnelle contre les incendies. S’enveloppant dans une fumée épaisse qui entrave leur respiration, ces citoyens risquent tout pour combattre les feux themselves. Ils utilisent des moyens dérisoires tels que des seau, des arrosoirs, des bouteilles, des pompes, des camions d’eau et des pulvérisateurs de jardin. Une mère de famille déclare : «Face à cette situation désespérée, nous ferons tout pour nous protéger. Nous suffoquons sous les fumées d’incendie, la visibilité dans nos villages est pratiquement nulle et les ours s’enfuient de la taïga ! Et pourtant, personne ne semble se soucier de notre sort. » En réponse, les forces de l’ordre ont menacé de poursuivre pénalement plusieurs individus qui ont exprimé leur inquiétude en ligne, les accusant de « discréditer » les autorités.
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