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En Gabon, la poursuite de virus et la chasse en forêt sont en train de se dérouler

Kessipoughou, avec ses abris en bois alignés le long de la route et ses marchands de viande sauvage, pourrait facilement passer pour un village typique perdu au cœur de l’immense forêt gabonaise. Cependant, sa singularité se révèle au travers de grands panneaux affichant des images de organes décomposés, visant à sensibiliser contre les zoonoses- des maladies transmises des animaux aux humains. Les directives sont claires et écrit en rouge vif: « Ne pas dissimuler, ne pas consommer, informez immédiatement le leader du village ».

Un autre signe met en garde contre les dangers liés aux morsures et aux griffes d’animaux. Schultz Bavekoumbou, président de l’Association des chasseurs de Kessipoughou et promoteur d’une « chasse durable », explique leur implication dans le réseau de surveillance et d’alerte des maladies zoonotiques.

L’implication de l’association s’est accélérée avec l’apparition du SARS-CoV-2 en Chine, il y a presque deux ans. Bien que l’origine exacte de la pandémie qui a fait près de 20 millions de morts dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), reste incertaine, l’hypothèse la plus probable est une transmission du virus par un animal hôte intermédiaire près du marché de Wuhan, la chauve-souris étant suspectée d’être le premier réservoir du virus. Cela met ainsi une pression supplémentaire sur la faune sauvage.

Le département de Mulundu, situé à l’ouest du Gabon, et plus spécifiquement Kessipoughou, est célèbre pour ses multiples grottes, refuge des chauves-souris. Les scientifiques gabonais ont remarqué depuis des dizaines d’années la présence de coronavirus et d’autres agents pathogènes mortels tels que la fièvre de Marburg et Ebola dans cette région. La région est également un important lieu de chasse, où les habitants tirent leur principale source de protéines et parfois leur seul revenu en approvisionnant les villes voisines, dont la demande est en constante augmentation.

Face à cette pression sur la faune, y compris des espèces en voie d’extinction comme les primates ou les pangolins, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a initié en 2018 le Programme de gestion durable de la faune sauvage. Ce programme est financé par l’Union européenne (UE) et a ensuite intégré un volet de prévention des épidémies.

Dans ce contexte, Schultz Bavekoumbou a appris à identifier les symptômes suspects chez les animaux et à suivre une procédure de signalement. Comme il le décrit, le premier pas consiste à alerter le chef du village afin qu’il puisse constater la situation. Ensuite, le centre médical régional et le représentant du ministère des eaux et forêts sont contactés qui à leur tour demandent l’intervention des vétérinaires du Centre international de recherches médicales de Franceville (CIRMF) pour effectuer des prélèvements sur l’animal.

Kessipoughou a précédemment généré deux alertes, dont une en mai concernant un mandrill avec une fourrure anormalement pelée. Les tests ont démontré que l’animal était atteint de la rage. Environ 30 individus ont alors pu être vaccinés.

À une distance de 200 km, au CIRMF, le vétérinaire Gaël Maganga supervise l’équipe répondant aux appels d’urgence des résidents, une ligne fonctionnant sept jours sur sept, 24h sur 24. Maganga est connu pour ses recherches sur les chauves-souris et a joué un rôle clé dans la lutte contre le Covid-19.

Fondé en 1974, le CIRMF est une institution de premier plan en matière de recherche sur les maladies infectieuses en Afrique. En collaboration avec l’Institut national des maladies transmissibles de Johannesburg, il possède l’un des deux seuls laboratoires P4 à haut risque en Afrique. Cette installation, qui manipule les virus les plus dangereux, a permis d’étudier Ebola lors de la première épidémie survenue au Gabon en 1996.

Cependant, sa renommée n’a pas résolu ses dilemmes financiers. « J’espérais qu’après la pandémie de Covid-19, nous aurions plus de ressources, mais ce n’est pas le cas », se désole le scientifique, craignant pour l’avenir du programme de surveillance communautaire suite à l’annonce du désinvestissement par l’UE en juin.

Bruxelles, qui a financé 47 millions d’euros pour la première phase (2018-2023) du programme de gestion durable de la faune et dont le Gabon n’est que l’un des quatorze bénéficiaires en Afrique, au Guyana et en Papouasie-Nouvelle-Guinée, a choisi de réduire de moitié sa contribution pour la deuxième phase. La surveillance des zoonoses est l’élément qui a été écarté.

Gaël Maganga exprime son étonnement. Il indique que les interactions humaines avec la faune sauvage deviennent de plus en plus courantes. Les activités comme l’exploitation forestière et minière exercent une pression intense sur l’environnement, transformant certaines régions en des « points chauds de virus ». Il cite l’exemple de la mine de fer de Belinga, dans la province adjacente de l’Ogooué-Ivindo. Il prévient que de nombreuses personnes travaillent dans des sites où le virus de Marburg existe et aucune mesure de sécurité n’a été mise en place.

Il insiste sur la nécessité de penser à l’avenir. Pour que les efforts fournis à Kessipoughou et auprès des quatre autres associations de chasse locale associées au réseau de surveillance ne soient pas gaspillés, une demande de financement a été envoyée au Fonds pour les pandémies de la Banque mondiale.

En attendant, les chercheurs répondent aux alertes avec les ressources limitées dont ils disposent. Il n’y a plus assez de financement pour renouveler les abonnements téléphoniques des chasseurs pour qu’ils puissent les contacter gratuitement, ni pour le véhicule utilisé pour aller effectuer des prélèvements. Gilles Bompana, vétérinaire, se désole de cette situation. Il souligne que nous avions une opportunité unique de mieux comprendre l’origine des zoonoses et de créer un système de prévention efficace dans un contexte où la viande de brousse est la seule option alimentaire pour certaines populations.

Le représentant local du Centre de coopération internationale de recherche agronomique pour le développement (Cirad), basé dans les bureaux du CIRMF, est tenu par la FAO de mettre en œuvre le projet. Il s’inquiète de la reaction des communautés lorsqu’elles recevront la nouvelle : « Elles nous ont accordé leur confiance. Nous avons confié aux chasseurs un rôle crucial, celui de veiller sur la forêt et de notifier toute découverte suspecte de manière urgente. Cependant, bientôt, nous ne serons plus là ».

Schultz Bavekoumbou , le président de Kessipoughou, a du mal à imaginer cette fin. L’attaque d’un éléphant, il y a cinq ans, l’a presque tué. Depuis lors, il a vécu à un rythme plus lent et a eu le temps de réfléchir : « La chasse durable est un sacrifice pour les familles qui dépendent de cela pour survivre. Cependant, nous ne pouvons pas continuer à détruire la forêt sans penser à l’avenir. » Il envisage de construire une boucherie prés de l’association qui maintiendrait la chaine du froid et ferait de son village un précurseur. Ce serait pour lui une grande fierté.
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