Minh Dréan, Jean-Philippe Lefief, Anna Villechenon, Glenn Cloarec et Pierre Bouvier ont contribué à cette diffusion en direct. Vous pouvez retrouver l’ensemble de nos articles, analyses et comptes rendus sur le conflit en Ukraine. Nos correspondants, Les reportages du « Monde » fournissent en profondeur analyse et explicitation. A Lviv, nos rencontres avec les recruteurs de l’armée ukrainienne donnent une image frappante: « Là où on passe, les rues se vident »
Il semble que les Ukrainiens soient maintenant confrontés au fait qu’ils ont à endurer un marathon plutôt qu’un sprint: la guerre risque de s’étendre sur une longue période. Par ailleurs, l’ancien ministre russe de la défense et le chef d’état-major sont maintenant poursuivis par la Cour pénale internationale.
Curieusement, la situation en Ukraine est largement négligée dans le contexte de la campagne pour les élections législatives de 2024. L’Ukraine est également confrontée à un défi majeur concernant la restructuration de sa dette.
Pour tenter de répondre à vos interrogations les plus courantes, nous explorons comment Moscou et Kiev font usage des drones. Il y a une escalade notable dans la guerre des drones entre la Russie et l’Ukraine depuis des mois. Selon un rapport récent d’un think tank britannique consacré à la défense, les Ukrainiens perdent environ 10 000 drones par mois sur le champ de bataille, soit plus de 300 par jour, comparativement aux 3 000 drones environ de l’armée française.
Les Ukrainiens et les Russes ont principalement recours à des petits UAV (véhicules aériens sans pilote) bon marché et disponibles en grandes quantités, d’origine civile. Ils sont utilisés pour mener des observations de terrain de bataille et guider les troupes ou les tirs d’artillerie ; certains sont adaptés pour transporter de petites charges explosives qui sont par la suite utilisés sur des tranchées ou des chars blindés.
Bien qu’ils soient moins nombreux, les drones-kamikazes occupent également une place cruciale. Ces UAV, équipés de charges explosives, sont déployés au-dessus des lignes de front sans objectif prédéfini. La Russie fait usage des drones Lancet-3 fabriqués localement ainsi que des Shahed-136 iraniens. En l’absence de véritable flotte de guerre, l’Ukraine réplique avec des engins maritimes sans équipage, de petits kayaks télécommandés chargés d’explosifs (450 kg de TNT).
La valeur de ces drones pour leurs opérations est telle que les Ukrainiens et les Russes se sont arrangés pour soutenir leurs forces sur le long terme, non seulement en acquérant en grand nombre des drones civils mais aussi en mettant en place des moyens de production internes. Au départ balbutiante lors de la guerre du Donbass qui a éclaté il y a une décennie, l’industrie nationale ukrainienne a depuis gagné en puissance. A la fin d’août, le ministre ukrainien de la transformation numérique a révélé qu’un modèle du drone russe Lancet avait été développé et serait bientôt lancé sous le nom de Peroun, le dieu slave de la foudre et du tonnerre.
Confrontée aux sanctions occidentales qui restreignent son accès aux composants électroniques, la Russie rencontre plus de difficultés. Cependant, selon les services de renseignement américains, Moscou aurait commencé à construire une usine dans la zone économique spéciale d’Alabouga dans l’optique d’y produire des drones-kamikazes de conception iranienne, tels que les Shahed-136.
Quant aux réserves de missiles russes, leur état actuel est très difficile sinon impossible à déterminer. Les services de renseignement ukrainiens s’expriment fréquemment à ce sujet, mais leurs estimations restent incertaines.
D’après les propos de Andri Ioussov, représentant du service d’espionnage du ministère de la défense (GUR), cité par Liga.net, l’armée russe avait en sa possession environ 2 300 missiles balistiques ou de croisière avant le début du conflit, et plus de 900 au commencement de l’année. En outre, le porte-parole ajoute plusieurs milliers de missiles anti-aériens S-300, avec une portée d’environ 120 kilomètres, et un stock conséquent de S-400, une version plus récente avec une portée triple. En août, Vadym Skibitsky, le second du GUR, évoquait le chiffre de 585 missiles ayant une portée de plus de 500 kilomètres.
Concernant la capacité de production, celle-ci serait augmentée à une centaine de missiles balistiques ou de croisière par mois, selon divers experts. En octobre, le GUR estimait cette production à 115 unités.
Par ailleurs, la Russie aurait obtenu des missiles à courte portée de l’Iran et de la Corée du Nord, et continuerait de les acquérir. D’après Reuters, citant de multiples sources iraniennes, environ 400 missiles iraniens de type Fateh-110 (300 à 700 kilomètres) ont été livrés depuis janvier, date à laquelle un accord a été signé. Nous ignorons combien de missiles nord-coréens la Russie a acquis, mais 24 ont été lancés en Ukraine entre le 30 décembre 2023 et le 7 février 2024, d’après le procureur général, Andriy Kostin. D’après les spécialistes qui ont inspecté les débris et les trajectoires, il s’agirait vraisemblablement de missiles KN-23 et KN-24, avec une portée d’environ 400 kilomètres.
En ce qui concerne les avions de combat F-16, qu’en est-il?
Répondant à une requête à long terme du président ukrainien, les Etats-Unis ont approuvé en août 2023, le transfert des avions de combat F-16 à l’Ukraine. Bien qu’il y ait une flotte envisageable de plus de 300 F-16 dans neuf pays d’Europe, dont la Belgique, le Danemark, la Grèce, les Pays-Bas et le Portugal, tous ne sont pas prêts à en céder immédiatement.
Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a évoqué un nombre de 42 F-16 promis par ses alliés occidentaux, mais ce chiffre reste non confirmé. Le Danemark s’est engagé à donner 19 avions, avec un calendrier d’envoi fixé comme suit : les 6 premiers n’arriveront pas avant la fin de l’année 2023, puis 8 supplémentaires en 2024 et les 5 derniers en 2025, d’après les déclarations de la première ministre danoise, Mette Frederiksen. Les Pays-Bas ont également promis des avions, possédant au total 42 unités, mais n’ont pas précisé combien ils prévoient d’en céder.
De plus, une formation spécifique à ces avions de combat américains doit être dispensée aux pilotes ukrainiens. Onze pays de Kiev se sont engagés à former ces pilotes. Selon l’OTAN, l’armée ukrainienne ne serait qualifiée pour utiliser ces avions en situation de combat que début 2024, tandis que d’autres experts penchent pour l’été de la même année.
Quel genre de soutien militaire leurs alliés offrent-ils donc à Kiev ?
Deux années après l’escalade de la guerre, le soutien de l’Occident à Kiev semble s’épuiser. Selon le rapport le plus récent de l’Institut Kiel, paru en février 2024, les nouvelles contributions apportées entre août 2023 et janvier 2024 ont diminué par rapport à la même période l’année passée. Les États-Unis et l’Union Européenne ont du mal à maintenir leur aide, le Sénat américain éprouvant des difficultés à voter pour davantage d’aide et l’UE ayant rencontré des obstacles pour approuver une aide de 50 milliards d’euros le 1er février 2024 à cause de la résistance hongroise. Il est à mentionner que ces deux paquets d’aide n’ont pas été inclus dans le dernier rapport de l’Institut Kiel.
L’institut allemand révèle également que le groupe de donateurs se contracte et se centralise autour d’un groupe de pays spécifique : les États-Unis, l’Allemagne et les nations nordiques et de l’Est de l’Europe. Ces pays s’engagent pour fournir à la fois une aide financière substantielle et des armes de pointe. Depuis février 2022, les pays soutenant Kiev ont promis au moins 276 milliards d’euros en aide militaire, financière et humanitaire.
Les pays les plus opulents ont été les plus bienfaisants en termes absolus. Les États-Unis sont les principaux donateurs avec au-dessus de 75 milliards d’euros d’aide promise, dont 46,3 milliards pour l’aide militaire. Les pays de l’Union européenne ont révélé à la fois des aides bilatérales (64,86 milliards d’euros) et des aides collectives provenant des fonds de l’Union Européenne (93,25 milliards d’euros), faisant un total de 158,1 milliards d’euros.
Lorsque nous analysons ces contributions en les proportionnant au produit intérieur brut (PIB) de chaque pays donateur, on observe un changement dans le classement. Les États-Unis descendent à la vingtième position, contribuant seulement 0,32% de leur PIB, bien derrière certains pays limitrophes de l’Ukraine ou d’anciennes républiques amies de l’Union Soviétique. C’est l’Estonie qui se positionne en tête du classement avec une aide équivalente à 3,55 % de son PIB, juste devant le Danemark (2,41 %) et la Norvège (1,72 %), tandis que la Lituanie (1,54 %) et la Lettonie (1,15 %) complètent le top 5. Les trois États baltes, tous voisins de la Russie ou de son alliée, la Biélorussie, sont parmi les donateurs les plus généreux depuis le déclenchement du conflit.
Dans le classement basé sur le pourcentage du PIB, la France se trouve à la vingt-septième place, ayant contribué seulement 0,07 % de son PIB, à peine derrière la Grèce (0,09 %). L’aide octroyée par la France est en diminution continue depuis le commencement de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En effet, en avril 2023, la France était encore à la vingt-quatrième position, et même à la treizième au cours de l’été 2022.
Qu’en est-il des tensions à la frontière entre l’Ukraine et la Pologne ?
Au cours des derniers mois, la Pologne et l’Ukraine ont connu des tensions dans leurs relations, principalement dues au transit du grain ukrainien. Au printemps de 2022, l’Union européenne avait initié des « couloirs solidaires » afin d’aider l’Ukraine à exporter et vendre, en franchise de droits, ses produits agricoles vers le Moyen Orient et l’Afrique. Toutefois, selon le think tank sur les questions agricoles globales, la Fondation Farm, environ la moitié de l’orge ukrainienne finit sa route ou transite par l’UE. Ce grain est vendu à un tarif nettement plus bas que le blé produit en UE, en particulier dans les nations d’Europe centrale.
Face à ce grain ukrainien qui perturbe leur marché local et les revenus de leurs fermiers, plusieurs pays dont la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, et la Slovaquie ont bloqué leurs importations en avril 2023 d’une façon unilatérale. Ceci a été approuvé par Bruxelles, à condition que cela ne bloque pas le transit vers d’autres nations et qu’il ne soit effectif que pour une durée de quatre mois. À la fin de l’été, Varsovie a pris la décision de maintenir fermée sa frontière au grain ukrainien, considérant que le souci originel n’avait pas encore été résolu, alors que les analyses de Bruxelles indiquaient que l’embargo n’avait plus lieu d’être du fait de l’absence de déformation des marchés nationaux pour les céréales.
En protestation contre l’infiltration des produits agricoles ukrainiens sur le marché national, les agriculteurs en Pologne ont mis en place un blocage à la frontière ukraino-polonaise, empêchant ainsi l’entrée des camions ukrainiens. Ils réclament également un embargo total sur ces produits, invoquant une augmentation considérable de leurs coûts de production, une saturation de leurs entrepôts et les prix plancher actuels. Le président de l’Ukraine a déclaré en début 2024 que ce blocus montre une diminution de la solidarité envers son pays, et demande des discussions avec la Pologne. Selon lui, ces tensions ne bénéficient qu’à Moscou et il a remarqué une apparition de slogans favorables à Poutine.