Pour la première fois, le Maroc a légalement produit et exporté du cannabis. La résine, dont la teneur en THC est inférieure à 1% (la substance responsable des effets psychotropes), a été vendue entre 1 400 et 1 800 euros le kilo, et a été expédiée en Suisse au deuxième trimestre. Bien que les sommes soient symboliques, l’intérêt suscité par cette exportation, largement couvert par la presse locale, montre l’enthousiasme que ce nouveau segment inspire parmi les entrepreneurs privés marocains.
Depuis son adoption en 2021, la loi permettant l’utilisation légale du cannabis à des fins médicales, pharmaceutiques et industrielles stimule les investisseurs. Il existe près de 200 opérateurs actifs et le Maroc est un nouvel acteur sur un marché mondial dont la valeur devrait dépasser 50 milliards de dollars (46,2 milliards d’euros) en 2028, selon Insight Partners, un fonds d’investissement américain.
En outre, la Fédération marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutiques (FMIIP) prévoit un revenu annuel de 4,2 à 6,3 milliards de dirhams (environ 400 à 600 millions d’euros) d’ici à quatre ans. Cependant, cela serait envisageable si le Maroc atteint une part de marché européenne de 10% à 15%. Le président de la FMIIP compte sur l’effet d’entrainement provoqué par la légalisation du cannabis médical dans l’Union européenne (UE), où il est autorisé dans 21 des 27 pays membres.
Cependant, il existe des obstacles réglementaires.
La société pharmaceutique Sothema, qui a généré un chiffre d’affaires de 230 millions d’euros en 2023, a annoncé avoir élaboré environ quinze produits pharmaceutiques à forte teneur en THC à base de cannabis. Ces médicaments seront utilisés pour le traitement de maladies douloureuses comme le cancer, la sclérose en plaques et l’épilepsie, selon Khalid El-Attaoui, le responsable de la filiale Axess Pharma dédiée aux traitements anticancéreux. La commercialisation de ces produits est prévue pour 2025.
L’entreprise vise les marchés marocain et européen, notamment l’Allemagne, le Danemark, la Suisse, l’Italie et la France. Cette dernière a récemment autorisé l’utilisation du cannabis à des fins médicales de manière expérimentale. Toutefois, le défi réside dans la levée des restrictions réglementaires qui sont particulièrement strictes pour les psychotropes. Malgré cela, El-Attaoui reste optimiste, soulignant leur engagement envers des pratiques agricoles de qualité, sans l’utilisation de pesticides ou de métaux lourds, et la reconnaissance de leur processus de fabrication.
De plus, leur intention ne se limite pas à l’exportation vers la France. Des entreprises françaises sont impliquées au Maroc dans des consortiums d’intérêt, notamment la coopérative marocaine Bio Cannat, qui a transformé une partie du cannabis exporté vers la Suisse. Aziz Makhlouf, directeur de Bio Cannat, n’a pas souhaité révéler l’identité des entreprises associées, ni ses revenus, mais assure que la majorité (80%) de leurs profits proviennent du marché local.
Bio Cannat a annoncé l’enregistrement d’une dizaine de produits élaborés en collaboration avec des laboratoires marocains, tout en mentionnant qu’une trentaine d’autres produits suivra bientôt. Ces produits sont principalement des compléments alimentaires et des cosmétiques à base de cannabidiol (CBD) sans THC, destinés à traiter plusieurs problèmes de santé, y compris le stress, la maladie de Parkinson et les troubles cutanés. Certains sont commercialisés dès le 1er juin dans les pharmacies marocaines.
À l’Agence nationale de régulation des activités liées au cannabis (ANRAC) à Rabat, l’optimisme prédomine. Ils proclament que la commercialisation du cannabis peut reproduire les succès de l’industrie automobile, qui est devenue le principal secteur exportateur du Maroc en 15 ans. Mohammed El-Gerrouj, le directeur de l’agence, est rentré récemment de Londres où il a enquêté sur le salon Cannabis Europa, après avoir visité les Pays-Bas, le Portugal et la République tchèque, trois pays qui ont légalisé le cannabis médical.
Avec une documentation à l’appui, l’ANRAC énumère les nombreux secteurs qui pourraient bénéficier de l’usage du cannabis marocain, surnommé « l’or vert » par la presse locale; ceci inclut la médecine, l’aéronautique, l’agroalimentaire, la construction, l’hygiène, la papeterie, la plasturgie et l’industrie textile, entre autres. Des marchés de niche comme le traitement au CBD pour chevaux et animaux de compagnie ont déjà attiré des investisseurs. L’ANRAC souligne que le chiffre d’affaires mondial de cette activité a été multiplié par 700 au cours des deux dernières années.
La idee centrale de la législation est de transformer les cultures illégales en des activités légitimes, ce qui paraît être une stratégie viable. Les superficies légales sous culture augmentent constamment : elles sont passées de moins de 300 hectares (ha) en 2023 à près de 3000 ha cette année. Ces surfaces sont réparties entre Al-Hoceima, Chefchaouen et Taounate, trois provinces situées dans la région du Rif, au nord du pays, où la culture du cannabis est une tradition ancienne. Le nombre de cultivateurs autorisés est également en hausse, approchant actuellement les 3300, soit sept fois plus qu’il y a un an. L’ANRAC souligne que leur intérêt est palpable, indiquant que le prix d’un kilo de cannabis illégal est d’ « entre 10 et 20 dirhams » (soit entre 0,93 euro et 1,87 euro), tandis qu’un kilo de cannabis légal coûte « 75 dirhams ». Les tarifs sont fixés par des accords.
Cependant, la transition de l’illégalité à la légalité est strictement contrôlée et seulement une petite fraction des 400 000 personnes qui gagnent leur vie à travers le commerce illégal de cannabis ont franchi le pas. En 2019, plus de 55000 ha de terres étaient consacrés à cette culture, d’après des estimations. L’ONU rapporte que 23000 tonnes (t) de cannabis et 800 t de résine ont été produites au Maroc en 2021, ce qui en fait l’un des principaux pays exportateurs de cannabis. Le cannabis est considéré comme un « patrimoine national ».
Comparativement, la première moisson de cannabis légal en 2023 n’a produit qu’environ 296 tonnes. Plus de 2 millions de graines ont été importées d’Europe pour cette récolte. Toutefois, le semis s’est effectué en juin et juillet, durant une période de chaleur extrême au Maroc, ce qui a impacté négativement les taux de germination et de croissance de la plante. L’ANRAC mentionne une perte de 20% causée par les températures élevées, entre 47°C et 49°C, coïncidant avec la floraison du cannabis. Bien que certains cultivateurs aient atteint un rendement de 6 tonnes par hectare, la moyenne était environ de 18 quintaux.
La position compétitive du Maroc dans un secteur éminemment concurrentiel est également en danger. Aziz Makhlouf, directeur de la coopérative Bio Cannat, note que les coûts de production sont plus élevés au Maroc qu’en Europe, en raison de l’installation de la filière et des pertes subies l’année précédente. La culture en plein air au Maroc, qui caractérise toutes ses cultures, exacerbe leur sensibilité aux conditions climatiques, contrairement aux productions européennes, principalement sous serre.
Par conséquent, l’ANRAC plaide pour l’arrêt de l’usage de graines importées, cultivées uniquement sous système d’irrigation, et prône la valorisation d’un « patrimoine national » : la « beldiya », une variété locale et précoce de cannabis, qui nécessite moins d’eau et dont la plantation commence en février. Néanmoins, comme cette espèce n’a jamais été certifiée, sa production selon un cadre juridique a jusqu’à présent été impossible. L’agence travaille à résoudre ce problème en collaboration avec l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) du Maroc. Son but est de rendre la « beldiya » accessible aux agriculteurs d’ici 2025.
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