Evguénia Berkovitch, célèbre dans le monde artistique de Moscou libéral, a passé des heures à noter dans un coin de sa cage de verre. Âgée de 39 ans, la réalisatrice russe, connue pour son esprit vif et ses sourires ironiques, a passé un mois et demi à observer son procès comme si elle assistait à une pièce de théâtre absurde. Elle a été arrêtée le 5 mai 2023, et a subi son procès pour « apologie du terrorisme » dans un tribunal militaire de Moscou. Le lundi 8 juillet, le procès s’est terminé en début de soirée. Le juge a brusquement accéléré les choses, ne laissant qu’un délai de vingt minutes à Evguénia Berkovitch et à sa co-accusée, la dramaturge Svetlana Petriïtchouk, pour formuler leurs dernières paroles. Bien qu’elles se savaient déjà coupables dans un système judiciaire qui approuve presque toujours les allégations du procureur, Evguénia, mère de famille, espérait une amende plutôt qu’une peine de prison. Malheureusement, elle et sa co-accusée ont été condamnées à six ans de prison dans une colonie pénitentiaire.
Cette sentence sévère souligne l’escalade de l’oppression envers toute dissidence envers le Kremlin de Vladimir Poutine. Plus de deux ans après l’initiation de « l’opération spéciale » en Ukraine, cette poigne d’acier s’abat sur les théâtres et les milieux artistiques. Evguénia Berkovitch, une ancienne élève de Kirill Serebrennikov, qui a été forcé à fuir, avait exprimé sa désapprobation face à l’action militaire dès ses débuts. « Je resterai en Russie jusqu’à ce que la menace d’emprisonnement devienne une réalité », avait-elle partagé avec nous en décembre 2022, cinq mois avant son arrestation abrupte. Elle avait alors commencé à intégrer des poèmes dans ses diverses productions. « Des versets anti-guerre ! », s’exclamait-elle. Elle se moquait ouvertement des autorités qui avaient prétendu que l’odeur au théâtre de Marioupol provenait de poissons morts et non de corps humains décédés dans des bombes, officiellement contestés.
« Chaque théâtre est rempli de poissons », ridiculisait Evguénia Berkovitch. Ses poèmes ciblaient les autorités : « Les décorés et les personnes populaires se promènent à la surface. Froids. Silencieux. Ils nagent dans les profondeurs. ». Ses spectacles se clôturaient par une minute de silence, en hommage aux personnes perdant la vie dans le conflit. Aujourd’hui, dans son petit théâtre moscovite où ses pièces sont toujours jouées, les performances affichent complet. Sur cette unique scène indépendante de Moscou, située près du tribunal militaire où la directrice a été jugée, les soirées se concluent maintenant par un message de soutien pour les deux co-prisonnières. « Nous sommes devenus des pacifistes secrets », murmurent les acteurs et les spectateurs.
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