Béatrice Naguita relate son expérience de manière ininterrompue, comme si elle rejetait quelque chose qu’elle ne parvenait pas à assimiler. Dans un souffle, elle détaille les parties horribles de son cauchemar : des hommes armés frappant à sa porte et tuant en froid le voisin qui tentait d’intervenir, ses deux semaines de captivité dans les buissons marquées par des traitements cruels, son père en larmes au téléphone, finissant par payer la rançon.
Plus de 1 500 personnes ont été kidnappées dans le sud-ouest du Tchad, une région rurale négligée près des frontières du Cameroun et de la République centrafricaine, au cours des deux dernières décennies, estime l’Organisation d’appui aux initiatives de développement (OAID), une ONG locale.
Ce chiffre est probablement sous-évalué, car les familles ne font pas toujours appel à la police, en raison de la peur de représailles ou d’être obligées de verser de l’argent aux autorités. Éleveurs, agriculteurs, fonctionnaires: toute personne soupçonnée d’avoir des économies, aussi minimes soient-elles, peut être une cible. Parfois, le simple fait de vendre un bœuf au marché suffit à attirer l’attention des ravisseurs.
On l’appelle le « triangle de la mort ».
On ne dispose que de renseignements limités sur ces individus. Ce qu’on sait principalement, c’est que leurs victimes disent qu’ils sont des hommes vêtus de tenues de combat, leur visage couvert de turbans, et qu’ils parlent l’arabe, le Peul ou le Haoussa. Nestor Déli, un ancien journaliste qui a passé deux décennies et a écrit deux livres pour étudier ce phénomène, est l’un des plus érudits sur le sujet. Excité d’avoir attiré notre attention, il fouille dans son sac pour extraire des lots de documents et raconte, avec une certaine fièvre, l’histoire du phénomène dont il trace les origines à lointaines, jusqu’aux raids esclavagistes qui ont dévasté la région à l’époque pré-coloniale.
« Le premier cas enregistré remonte à 2003, » dit-il, brandissant un article de journal soigneusement préservé dans un classeur. « A compter de cette année, les guerres civiles en Centrafrique et au Soudan facilitent la diffusion d’armes et de combattants dans les régions frontalières du Tchad. »
Le manque de présence de l’État, le sous-développement et l’isolement font de ces territoires un sanctuaire idéal pour les bandits de grand chemin et les trafiquants de tous types, connus depuis les années 1980 sous le nom générique de zaraguina. C’est une région de non-droit où les armes et les faux documents peuvent être obtenus aussi facilement l’un que l’autre, une région que Nestor Déli désigne comme le « triangle de la mort ». « De nos jours, les enlèvements ont lieu en plein jour, parfois même en plein cœur des villes », ajoute le chercheur. « Les ravisseurs sont de plus en plus enclins à tuer leurs otages si les parents tardent à payer la rançon »
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