Nicolas a toujours fait partie de ma vie. Notre proximité résidentielle était d’à peine dix mètres sur la principale artère de notre petite commune. Un village tranquille où l’effectif humain était inférieur à celui des bovins et équins, rythmé par les fêtes saisonnières comme la Saint-Jean, les récoltes et la fenaison, les danses organisées par les pompiers, les visites des distilleries, et la diffusion chaque année d’un parfum puissant émanant des champs fraîchement fumés.
Nous ne comptions qu’une poignée d’enfants, une vingtaine tout au plus. L’enseignante, qui était en charge de tous les niveaux dans notre unique salle de classe, oscillait sans relâche entre les différents grades pour transmettre ses connaissances, du cours préparatoire au CM2, et ce, au cours d’une même journée.
Je faisais partie d’un cercle intimiste de cinq enfants. Parmi nous, le fils de l’ambassadeur, les enfants de l’infirmière, de l’horloger, de l’un des fermiers et de deux familles pionnières du village, moi et Nicolas. Lui, Nicolas et moi, Gaël: l’un blond, musclé et athlétique, l’autre, brun, bronzé et légèrement enrobé. Nous étions indissociables, que nous soyons en plein air ou à l’intérieur de nos chambres, jouant au football contre un mur de la maison, pédalant à vélo à travers les champs, ou construisant des cabanes. Chaque soir, on nous envoyait à la laiterie pour récupérer notre pot de lait cru, entier et tiède.
Toutes les deux, nos mères ont grandi dans le même quartier, développant leur amitié depuis la tendre enfance. En raison des contraintes sociales de l’époque, elles n’ont pas pu obtenir leur baccalauréat, car l’éducation des filles ne recevait pas de soutien financier dans leur milieu. Chacune d’elles a donc suivi son propre itinéraire : ma mère, en choisissant de travailler à l’étranger pour maîtriser l’anglais, lui ouvrant la voie pour occuper des postes de direction plus tard ; la sienne, presque contrainte de passer sa vie dans le lieu même de sa naissance.
Nous étions tous les deux enfants uniques. Il vivait avec ses parents, sa grand-mère et moi, j’étais ravi de son père qui avait un amour pour une grande variété d’activités qu’il partageait avec nous, notamment le tir à l’arc, la cueillette de champignons, la pêche, le modélisme, les films amusants… Quant à moi, j’habitais avec mon arrière-grand-oncle et ma mère célibataire, cette femme qui avait conçu un enfant avec un homme d’origine arabe. J’ai rarement vu mon père, un Français d’origine algérienne à la peau profondément pigmentée, dont l’enfance difficile dans la France des années 60 avait laissé des traces indélébiles.
On me surnommait le « boukak » ou le « bougnoule ».
Dans la région française où j’ai grandi, la présence du Front national [FN] est un fait bien établi depuis fort longtemps. Un restaurant appartenant à mon oncle était fréquenté par Jean-Marie Le Pen, et la famille de ma mère soutenait le FN lors des élections. Par conséquent, j’étais perçu différemment par les autres enfants du village. Si une poule manquait, on m’accusait de l’avoir tuée. Si des journaux étaient déchirés au kiosque de proximité, c’était encore mon fait. Était-ce des ampoules de guirlande éclatées? On me pointait du doigt. Toutes ces accusations étaient bien sûr infondées, mais elles ont, de manière inexplicable, renforcé l’idée fausse que je propageais une mauvaise influence.
Il reste encore 61.79% de cet article à parcourir. La lecture de la suite est exclusivement réservée aux abonnés.
Laisser un commentaire