« Avant-hier, j’ai rasé mes ovins. Pour chaque kilogramme de laine obtenu, je n’ai obtenu que 15 centimes. Ces 15 centimes, j’ignore si vous comprenez leur valeur! Depuis trente ans, l’acheteur qui vient récolter la laine travaille avec moi. Il est tout aussi révulsé que moi de payer un prix aussi dérisoire. Il prend ma laine, elle part pour Dunkerque en balles d’une tonne chacune, puis elle est embarquée dans des conteneurs à destination de la Chine. Ce sont les Chinois qui fixent le prix. Cependant, ils se moquent ouvertement de nous. Ils ont trouvé de parfaits serviteurs en nous, les Européens.
Pour moi, c’est un dégoût total. Je n’ai plus foi en rien. Tout ceci est terminé depuis bien longtemps, on est arrivé trop tard. Il y a quarante ans, nous aurions dû protéger nos industries. N’est-il pas absurde que nous envoyons notre laine en Chine pour qu’elle soit lavée et achetée transformée? En France, l’élevage se meurt, mais les rayons ne sont pas vides pour autant. Ils sont remplis par des produits provenant d’autres pays comme la Nouvelle-Zélande. Imaginez cela: la viande voyage 15 000 kilomètres en bateau !
Sur mon élevage, j’ai 400 brebis. Il me coûte environ 2,30 euros pour tondre chaque brebis. Prenez votre calculatrice : je gagne seulement 50 centimes sur la laine de chaque animal. C’est comme si je rendais mon salaire à mon patron! Le seul réconfort est le prix de l’agneau, qui est un peu plus cher qu’auparavant. Cependant, même si la population des immigrés augmente, et qu’ils sont de grands consommateurs de mouton, ça ne suffit pas. À Paris, un kilo de mouton coûte 50 euros, alors qu’il quitte ma ferme à 9 euros. Dans l’espace de quinze jours, les intermédiaires empochent 40 euros… »
Je suis toujours en attente de mon paiement de 13 000 euros pour l’année 2023 de la part de la PAC (Politique agricole commune européenne). Mon épouse, qui fait partie de la même entreprise agricole que moi (GAEC), a tenté de les contacter par téléphone hier. Selon leur réponse, le paiement sera divisé en plusieurs versements car ils manquent de fonds. L’Etat lui-même n’a pas les moyens financiers nécessaires. À cause de cet obstacle, nous sommes obligés d’arrêter l’achat d’engrais pour nos prés. Par ailleurs, la facture d’essence reçue toutes les deux semaines doit être réglée sans délai. En fin de compte, une fois tous les frais payés, nos revenus sont inférieurs au SMIC. Pourtant, je travaille de 6 heures du matin à 20 heures chaque jour. Heureusement, j’apprécie mon travail, ce qui m’a permis de tenir. J’aime vraiment passer mon hiver à l’extérieur avec mes animaux.
Il nous semblerait juste de gagner à chacun 3 000 euros, étant donné que c’est nous qui nourrissons la nation. Nous sommes une famille de cinq personnes, mon épouse, nos trois enfants âgés de 25, 23 et 16 ans et moi. Pour survivre, nous sommes contraints de gagner quatre salaires, sinon nous ne tiendrons pas le coup. Nos deux aînés travaillent sur notre ferme, tandis que notre cadet est élève dans un lycée professionnel. Ayant débuté mon travail en 1995, après trente ans de service, mes gains restent en-dessous du SMIC. N’y a-t-il pas là une anomalie ?
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