En d’autres circonstances, il est probable que nous aurions abordé cette lecture différemment. Le parcours incroyable de Katalin Kariko, sa foi indéfectible dans le potentiel thérapeutique de l’ARN messager, son combat constant contre le scepticisme et les obstacles qu’elle a surmontés durant trois décennies font de son histoire une véritable odyssée scientifique. Cependant, dans le contexte actuel, il est impossible de ne pas percevoir dans ce récit une métaphore sur les bénéfices de l’immigration.
Depuis la création du vaccin à ARN messager en décembre 2020 et surtout depuis que Katalin Kariko a été récompensée par le prix Nobel en 2023, son histoire est devenue célèbre. Elle a d’ailleurs largement partagé son expérience dans nos pages. Cependant, cette autobiographie, écrite avec une plume vivace, lui confère un nouveau dynamisme. Elle décrit donc une petite fille née en Hongrie en 1955, fille de boucher, qui grandit dans une maison de terre crue sans eau courante. Cette enfant aime l’école. Elle n’est peut-être pas la plus douée, selon elle, mais elle est sans doute la plus studieuse, collectionnant les réussites scolaires et universitaires. Elle devient biologiste, avec une spécialité – ou plutôt une passion – pour l’ARN messager, cette molécule qui transmet l’information génétique de l’ADN pour produire nos protéines.
Cependant, son laboratoire est brusquement fermé. Elle ne trouve pas de travail ailleurs dans le pays. « Avais-je envie de partir de Hongrie ? De ma sœur ? De ma mère, récemment veuve ? Non, pas vraiment. Mais je voulais travailler. » Une invitation de l’Université Temple, à Philadelphie, lui offre la possibilité de s’installer aux Etats-Unis avec son mari, sa fille, et l’ours en peluche de cette dernière, où sont cachées leurs économies.
Ils déchargent leurs affaires dans le couloir…
Passionnée par la recherche, elle était déçue par le salaire insuffisant et les conditions de travail difficiles. Son patron était caractériel, elle a donc décidé de chercher un nouvel emploi. Menacée et dénoncée aux autorités d’immigration par son employeur, un jeune cardiologue de l’université de Pennsylvanie lui a tendu une main secourable pour éviter l’expulsion. Il était à la tête d’un laboratoire naissant, et a immédiatement compris la valeur incalculable que cette étrangère pouvait ajouter à la recherche et à son pays.
La vie de « Kati » Kariko est un carnet rédigé avec ces expériences, malgré l’hostilité d’une communauté scientifique sceptique qui considère que la molécule d’ARN est trop instable pour être utilisée dans des traitements. Son accent, dont elle ne s’est jamais débarrassée, a intensifié ces doutes. Alors que sa fille, Susan Francia, gravissait les échelons pour obtenir le titre olympique en aviron en 2008 et 2012, la biochimiste s’est battue pour surmonter les obstacles liés à l’utilisation de la molécule.
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