Il n’est pas rare de voir le nom de Astolphe de Custine émerger entre des citations de pensée positive attribuées à des figures comme Steve Jobs, Gandhi ou même le Dalaï-Lama, lorsqu’on navigue sur Facebook. Cela survient souvent depuis que la Russie est redevenue un sujet d’inquiétude mondiale. Lorsqu’on évoque un opposant assassiné, le marquis français Custine ressurgit sur les réseaux sociaux avec sa vision acérée : » Le gouvernement russe est une monarchie absolue tempérée par l’assassinat ». Ses commentaires accompagnent souvent une certaine admiration mêlée de peur : Custine aurait tout vu venir !
Il est connu pour son œuvre la plus fameuse, « La Russie en 1839 », publiée il y a presque deux siècles, et son nom refait surface tous les vingt à trente ans, à chaque fois que le Kremlin durcit sa politique. Astolphe de Custine, le marquis intemporel et impitoyable, avait cette vision singulière de la Russie : une nation conquérante, affamée par de constantes privations qui, dans l’espoir d’exercer la tyrannie ailleurs, accepte docilement son avilissement. Ce qu’elle attend, la gloire, la richesse, la détourne de la honte qu’elle endure et pour se purifier du sacrifice de toute liberté, l’esclave agenouillé rêve de dominer le monde.
Ses Lettres de Russie, aussi connues sous un autre titre et qui furent un best-seller dès leur parution en 1843, sont devenues un classique des études russes. C’est l’un des nombreux récits de voyages qui ont façonné la compréhension occidentale de ce « royaume des façades. »
Initialement, on pourrait facilement balayer ces aphorismes. Ils semblent trop ordinaires, trop essentialistes. À l’ère actuelle, comment peux-t-on interpréter « un peuple enivré par l’esclavage » sans se questionner ? De plus, l’auteur a passé moins de trois mois en Russie, voyageant principalement entre Saint-Pétersbourg et Moscou. Avec le recul, on sait qu’il était particulièrement réceptif aux rumeurs. Même les paysages ne réussissaient pas à le séduire.
Néanmoins, ses talents d’observation et son intuition restent impressionnants. Rien de moins, il prévoyait la révolution bolchévique imminente. Effectivement, c’est le stalinisme qui lui accorda sa reconnaissance : sa description de la Russie de 1839 semble prémonitoire. « L’empire russe est plus comme un camp disciplinaire qu’un système d’État, une société constamment sous l’état de siège », écrit le noble.
Les mots de Custine sont d’autant plus précieux qu’ils sont le produit de la désillusion. Le marquis est un conservateur ardent, un adversaire de la révolution française, qui a exécuté son père et son grand-père. En partant vers la Russie tsariste, il espérait trouver un paradis perdu, voire un nouvel horizon. Au lieu de cela, il ne trouva que de l' »oppression camouflée en ordre », « un secret omniprésent », « une surveillance constante », « un fanatisme d’obéissance » touchant à la fois le peuple et la noblesse. « Un régime qui ne survivrait pas à deux décennies de communication libre avec l’Occident ».
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