Dans son récent ouvrage, « Monique s’évade » (Seuil, 180 pages, 18 euros), Edouard Louis a déployé des efforts considérables pour soutenir sa mère. Le jeune auteur l’a aidée à échapper à son compagnon violent en lui trouvant un appartement, en lui réservant des taxis, en payant ses repas et en prenant en charge ses dépenses quotidiennes. En fournissant une aide financière à sa mère, il lui a permis de s’affranchir. Edouard Louis n’est pas le seul à prendre en charge sa famille dans le championnat de la mobilité sociale.
Au cours d’une conversation téléphonique, Soraya (tous les prénoms ont été changés), une étudiante de 22 ans qui équilibre un master en science politique à Reims (Marne) et un emploi à temps partiel dans une agence de travail temporaire, exprime ses inquiétudes : « Est-ce possible de repousser à nouveau notre rendez-vous ? » Chaque mois, ses 1 300 euros sont engloutis par les frais de scolarité, le loyer au CROUS et l’électricité pour sa mère. Soraya a transféré 80 euros à sa mère il y a trois semaines. « Je lui donne de l’argent plusieurs fois par mois. Elle me voit un peu comme la Banque de France, » déclare-t-elle, laissant transparaître sa frustration. Malgré leur relation tendue, elle ne peut envisager de l’abandonner. « Elle m’a élevée seule avec mon frère. (…) Elle est devenue maniaco-dépressive quand j’étais adolescente. En raison de sa maladie, elle a démissionné de son poste d’assistante commerciale, et j’ai dû prendre le relais rapidement. »
Depuis une décennie, Soraya accumule des travaux occasionnels comme la garde d’enfants et d’animaux pour aider à compléter l’Allocation de Solidarité Spécifique (RSA) de sa mère. En 2018, elle a quitté la maison de ses parents, laissant derrière elle son petit frère qui est un adulte aujourd’hui. Soraya insiste sur le fait qu’elle couvre ses frais pour les activités parascolaires et sportives pour que son frère puisse jouir d’une enfance ordinaire sans se préoccuper du bien-être de leur mère. Elle peut reporter son voyage au Brésil et même éviter de réparer son ordinateur portable endommagé; elle évoque qu’elle prend son temps pour réaliser ses projets sans se mettre en difficulté financière pour sa famille.
Soraya n’est pas seule dans cette situation. Sur les 19,2 milliards d’euros de soutien familial en France, 2,2 milliards sont des transferts vers les parents ou grands-parents, selon une étude de l’INSEE en 2017. Des histoires similaires sont partagées sur les médias sociaux, où de jeunes internautes affirment aider leurs aînés financièrement, que ce soit pour faire les courses, remplir le réservoir de la voiture de la famille ou payer des factures coûteuses. Certains sont fiers de leur contribution, tandis que d’autres expriment leur frustration. Un utilisateur des médias sociaux raconte que ses parents prenaient tout son salaire depuis qu’il avait 19 ans jusqu’à ses 23 ans, en plus des subventions auxquelles il avait droit. Le sentiment général est mis en évidence par un autre commentaire: « Nous ne demandons pas à naître ».
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