La question de savoir si le Burkina Faso conserve toujours son titre de « pays des hommes intègres », attribué par le président Thomas Sankara en 1984, se pose actuellement. La situation s’est effectivement détériorée au cours des dix dernières années, avec un afflux d’attaques djihadistes, d’abus de l’armée et de migrations massives de la population. Malgré ce panorama sombre, les artistes continuent de résister, en peignant, en photographiant et en sculptant les symptômes de leur réalité.
Pour illustrer le courage et l’intégrité des artistes au milieu de ces troubles, il suffit de jeter un coup d’œil à l’exposition en cours à la Galerie Christophe Person à Paris, intitulée « Au pays des hommes intègres ». L’exposition regroupe sept artistes (une femme et six hommes) qui exposent leurs œuvres, reflétant chacune leur propre réalité et engagement.
Christophe Person, le fondateur et directeur de la galerie, met l’accent sur le thème de la mémoire et de la transmission qui guident l’exposition. Chaque artiste trouve son inspiration dans l’histoire globale aussi bien que dans sa propre histoire. Cela confère aux œuvres une qualité viscérale. Les artistes du Burkina Faso, ayant bénéficié de peu d’attention du marché de l’art pour l’Afrique, continuent à créer sans attente de plaire, ce qui les rend d’autant plus pertinents.
Olga Yaméogo, une artiste native de Ouagadougou née en 1966 et basée à Toulouse, explore les thèmes de la filiation, des traces et de la mémoire dans son travail. En tant qu’art-thérapeute aidant les jeunes à faire face à leurs troubles intérieurs, son travail peint la mixité de sa famille en exprimant la transmission intergénérationnelle à travers ses toiles.
Christophe Sawadogo, né en 1972 à Tikaré (Centre-Nord) dans la région de Tamiougou (qui signifie « La colline rouge » en mooré), est un peintre connu pour ses silhouettes distinctes, submergées dans de fascinants univers de couleurs débordantes. Il décrit son processus artistique comme une exploration de l’identité et du positionnement parmi de nombreuses personnalités et couleurs dans un monde complexe. Sa peinture est comme une métaphore de lui-même, perdu dans un croisement où tous les chemins se terminent.
Inspiré en grande partie par le célèbre romancier, poète et philosophe français Edouard Glissant (1928-2011), son travail reflète son fascinant intérêt pour l’unicité des autres. Ses sujets sont généralement vêtus de couleurs vibrantes qui se distinguent contre des arrière-plans plus neutres, magnifiant ainsi leur présence. Utiliser sa propre famille comme sujets de ses œuvres l’amène à la pratique de la généalogie. Cela résonne avec sa propre expérience de migration, le défi de s’ancrer et de trouver sa place. Choisir de renaître en embrassant sa double culture est un acte de faire la paix avec soi-même.
La toile intitulée « Les Déplacés » est unique dans l’œuvre de Sawadogo – il n’y a pas de rouge dominant et l’on trouve plutôt des personnages et des animaux déplacés. Sawadogo raconte comment, lors d’un séjour en atelier dans le nord du pays, il a appris le massacre de 160 personnes à Solhan le 5 juin 2021, et cela l’a poussé à dessiner des personnages errants, des animaux sans propriétaires, avec des lignes d’horizon brisées sur papier à l’encre de chine. Dans ces moments de terreur, il se rappelle du silence, des chuchotements et du désir de fuir ce lieu tragique aussi vite que possible. Dans son œuvre, il donne corps à son « devoir de mémoire ».
Le Théâtre Populaire de Ouagadougou, un lieu d’une importance fondamentale, est passé sous l’objectif du photographe documentaire Nyaba Ouédraogo, né en 1978 à Bouyounou (Centre-Ouest). Construit à l’initiative du capitaine Thomas Sankara, ce lieu culturel majeur a été négligé après le meurtre de Sankara le 15 octobre 1987, illustrant ainsi les aspirations du leader de l’époque : construire un foyer pour la culture burkinabé foisonnante.
« Je vise avant tout à préserver la mémoire en capturant l’histoire de ma nation : les masques peints sur les murs du théâtre dépeignaient la diversité de nos différentes communautés. J’ai cherché à fusionner photographie et poésie, accentuant délibérément le ton de mes images pour leur imprégner une intensité véritable. Malheureusement, ces peintures murales ont été recouvertes lors d’une première rénovation du site en 2022, effaçant ainsi les stigmates de notre histoire passée », déplore Nyaba Ouédraogo.
De leur côté, Abou Traoré et Siriki Ky, deux bronziers, revisitent des connaissances antiques pour les intégrer dans leurs œuvres. Traoré, né en 1960 à Bobo Dioulasso, la deuxième plus grande ville du Burkina Faso, est le descendant d’une longue lignée de forgerons.
Maitrisant parfaitement l’art complexe de la cire perdue (technique de moulage précis permettant de réaliser une sculpture en métal à partir d’un moule en cire) transmis par son père, ses œuvres sont « inspirées des masques africains », et plus spécifiquement ceux « de l’oiseau et de l’antilope, qui sont des créatures magnifiques ». Il convient de noter le soin particulier apporté à la patine des bronzes.
« Un regard sur la société des femmes »
Siriki Ky, né en 1953 à Abidjan, se focalise maintenant dans l’illustration du baobab. Ses réalisations minimalistes et épurées sont inspirées de l’arbre emblématique du Sahel, qui l’a marqué par sa stature et sa silhouette. L’artiste décrit son travail comme étant «totémique», avec des pièces hautes et maigres, portant une paire d’yeux et une bouche en haut.
Abou Sidibé offre, à travers ses œuvres, un voyage vers un village à proximité. Ses puisettes veulent souligner l’importance de l’eau dans le Sahel, une ressource qui devient de plus en plus rare et source de conflits entre fermiers et éleveurs. Pour Sidibé, cela consiste aussi à «observer la société des femmes, les principales responsables de l’approvisionnement en eau. Il mentionne les années perdues à cause du manque d’éducation. Le puits ou le marigot sont aussi des espaces de socialisation. Les aînées partagent leurs connaissances avec les plus jeunes et ces endroits permettent la résolution de conflits».
Les amas trouvés sur les puisettes représentent ce qui est jeté dans les puits après leur assèchement, lorsque les communautés villageoises les obstruent : « Comme une fouille archéologique pour retracer l’histoire de ces objets hétérogènes. »
Enfin, le monde de Mouss Black interroge les limites entre le réel et l’irréel. Né en 1990, vivant et travaillant à Ouagadougou, sa formation a été effectuée à la Fondation Olorun, un centre d’art créé par le Français Christophe de Contenson dans la capitale du Burkina Faso à la fin des années 1990. Ses créations étranges fusionnent rêverie et mysticisme.
L’exposition « Au pays des hommes intègres » met en avant les oeuvres des artistes burkinabés tels qu’Olga Yaméogo, Christophe Sawadogo, Nyaba Ouédraogo, Abou Traoré, Siriki Ky, Abou Sidibé et Mouss Black. Cette rétrospective est hébergée par la galerie Christophe Person, située au 39 rue des Blancs-Manteaux dans le 4ème arrondissement de Paris. Vous pouvez visiter cette exposition du mercredi au samedi, de 14h à 19h, jusqu’au 27 juillet 2024.
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