Vers la fin d’octobre 2022, Marlene Engelhorn, citoyenne autrichienne, a été rencontrée par M Le magazine du Monde dans un café viennois. En tant que descendante directe de Friedrich Engelhorn, le créateur de BASF, une société chimique et pharmaceutique allemande, elle a fait sensation en révélant son ambition de léguer presque entièrement l’héritage qu’elle est sur le point de recevoir de sa défunte grand-mère dans le pays voisin, la Suisse. « Je n’ai jamais travaillé pour ça, » affirme la jeune femme de 30 ans qui étudie le allemand, refusant l’argent qui pourrait instantanément lui promulguer le statut de multimillionnaire.
Arborant des cheveux bruns courts et un visage d’enfance, Engelhorn a grandi confortablement à Vienne et a développé de fortes convictions politiques lors de son passage à l’université contre l’aspect « non démocratique » des « grandes fortunes », comme elle le décrit dans son livre récemment publié, Geld (L’Argent, publication prévue en septembre aux éditions Massot). « Il est injuste qu’une personne soit extrêmement riche, qu’elle ne paye pas d’impôts et qu’elle utilise sa richesse pour influencer le discours politique à ce sujet, » explique-t-elle tout en sirotant une boisson fraîche.
Dans sa lutte personnelle contre « un argent qui génère des névroses », elle défend l’idée que l’Autriche devrait réintroduire les droits de succession et l’impôt sur la fortune, deux taxes qui ont été abolies dans cette nation d’Europe centrale. Bien qu’elle soit consciente que ses efforts ont peu de chance de réussir, elle envisage également comment distribuer son héritage de la manière la plus équitable possible. En renforçant sa position contre les inégalités, elle rejette l’idée de faire un choix personnel ou de créer une fondation, une pratique courante parmi beaucoup de ses homologues ultra-riches à travers le monde. « Ils utilisent ces fondations pour réduire considérablement leur charge fiscale et influencer le débat démocratique », critique-t-elle.
Ce qui a suivi le témoignage initial
Le 18 juin 2024, toujours à Vienne, le Bon Conseil a présenté son jugement. Composé de cinquante membres représentatifs de la population autrichienne, ce comité citoyen, sélectionné et supervisé par une équipe d’experts recrutés et financés par Marlene Engelhorn, a décidé de la distribution de 25 millions d’euros, soit « une part substantielle » de son héritage, affirme l’héritière.
Pendant six week-ends, ces cinquante citoyens, âgés de 16 à 85 ans, ont discuté en petits groupes dans un lieu gardé secret. « Le résultat est aussi varié que le conseil lui-même », vante Alexandra Wang, qui a conduit ce projet avec sept autres personnes familières des consultations citoyennes, pendant que Marlene Engelhorn se tient volontairement à l’écart de la conférence de presse où la liste des bénéficiaires est annoncée. Soit soixante-dix-sept organisations qui se battent aussi bien pour la protection de l’environnement, contre les inégalités, la pauvreté ou les violences faites aux femmes.
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