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Risque d’épreuve de force RN-Algérie

Il semble qu’un conflit potentiel se prépare entre l’Algérie et le Rassemblement national (RN), qui est sur le point de prendre le pouvoir. C’est comme si une vieille blessure mal cicatrisée était ravivée, rappelant un passé toxique. Est-il possible d’envisager que la relation bilatérale reste intacte si le RN arrive au pouvoir ? Peut-elle échapper aux intentions d’un parti dont le fondateur, Jean-Marie Le Pen, a participé à la bataille d’Alger en 1957, accusé d’association avec la torture et d’avoir regroupé en son parti de nombreux anciens membres de l’OAS (Organisation de l’armée secrète) ? L’héritage d’une « Algérie française » qui fait que le mouvement est sur-représenté dans les zones du sud de la France avec une forte concentration de pieds-noirs, influencera sans aucun doute les relations entre Paris et Alger si le gouvernement Bardella voit le jour.

«Si le RN accède au pouvoir, cela aura un impact négatif sur les relations avec l’Algérie. C’est une prédiction de Madjid Benchikh, ancien doyen de la faculté de droit d’Alger. Il prévoit une détérioration durable, car l’extrême droite est en train de gagner du terrain en Europe. » Pour l’instant, la presse officielle algérienne se montre prudente dans sa couverture des élections françaises. Bien qu’il soit encore trop tôt pour exprimer des inquiétudes publiquement, il y a des signes de préoccupation, comme en témoigne la position de Chems-Eddine Hafiz, le recteur de la Grande Mosquée de Paris proche d’Alger, qui appelle à manifester son indignation face à la tentation du RN.

Si le RN venait à accéder au pouvoir, la question de l’immigration serait traitée comme une priorité vis-à-vis de l’Algérie. Les responsables du RN, un parti d’extrême droite, ne cachent pas ce fait. «Pour moi, il est préférable d’aborder ces problèmes sans plus attendre», avait déclaré Marie Le Pen lors de sa campagne présidentielle en avril 2022. Le premier de ces problèmes réside dans l’accusation portée contre l’Algérie pour sa mauvaise foi dans la ré-accueil de ses citoyens sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le RN envisage un conflit sur ce point, liant l’octroi de visas français à la pleine collaboration de l’Algérie dans la fourniture des documents consulaires nécessaires à ces retours.

En vue de cela, le parti de Le Pen envisage de jouer une carte pour surmonter les réticences de l’Algérie : la remise en question de l’accord franco-algérien de 1968, qui accorde aux Algériens une exemption du droit commun des étrangers concernant la circulation, le séjour et l’emploi en France. Xavier Driencourt, un diplomate, est à l’origine de cette proposition. Après deux mandats en tant qu’ambassadeur à Alger (2008-2012, 2017-2022), il est convaincu que Paris a fait preuve de trop de « naiveté » dans ses relations avec les dirigeants algériens, qui selon lui, « ne réagissent qu’à la force ».

Depuis qu’il a pris sa retraite en 2022, Monsieur Driencourt a eu une rencontre avec Madame Le Pen et deux avec Jordan Bardella. Bien qu’il nie catégoriquement être leur conseiller sur la question de l’Algérie, son nom est évoqué comme un potentiel futur ministre des Affaires Étrangères dans un gouvernement RN. Cependant, M. Driencourt rétorque, « On ne m’a proposé aucun poste pour le moment ». Il ajoute qu’il serait très probable qu’il rejette une telle proposition puisqu’il ne se considère pas comme politicien, bien qu’il laisse une certaine ambiguïté sur l’éventualité d’un 1% de chance d’accepter.

Par ailleurs, son idée de critiquer l’accord migratoire de 1968 a été largement diffusée. Elle a été reprise par Edouard Philippe, qui est en désaccord avec le président Macron, un défenseur du statu quo, et bien entendu, par le RN qui était enthousiaste à l’idée de découvrir cette carte jusqu’ici négligée dans les archives. « Nous allons réviser l’accord de 1968 », a déclaré Sébastien Chenu, le vice-président du parti d’extrême droite, le 27 juin à BFM-TV. Le 10 juin, il avait évoqué simplement sa « révocation », ce qui laisse penser que le plan du RN n’est pas encore défini sur l’étendue du défi.
Il est clairement opposé à la notion de « repentance ».

Un autre enjeu qui pourrait tendre les liens bilatéraux sous un éventuel gouvernement Bardella est la question de la mémoire collective. Le Rassemblement National (RN) a toujours rejeté toute tentative de réconciliation mémorielle avec l’Algérie au nom de son opposition à la « repentance ». Cela comprend les efforts initiés par la gauche, puis renforcés par Emmanuel Macron. Mme Le Pen avait critiqué en 2012 l’initiative de François Hollande de « reconnaître » l’événement tragique du 17 octobre 1961, lors duquel plusieurs Algériens ont perdu la vie, y compris ceux qui ont été noyés dans la Seine, comme un acte « profondément déstabilisant et clivant pour la société française ».

Les commentaires de ce genre sont fréquents de la part du parti de l’extrême droite. Par exemple, quand l’historien Benjamin Stora a remis à M. Macron en janvier 2021 son rapport sur la réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie, Louis Alliot, le maire RN de Perpignan, a exprimé son indignation : « C’est honteux ! Est-ce que Macron a choisi, via le trotskiste Stora, de déclarer une guerre de mémoire à des familles françaises qui ont été durement touchées par les horreurs commises par le FLN et leurs complices porteurs de valises ? ».

Il est indéniable que la colonisation a eu des points positifs, a déclaré le député européen Nicolas Bay, à l’époque membre du RN (il a depuis rejoint Reconquête !). Il a ajouté que le rapport Stora serait perçu par certains comme une autre preuve de faiblesse et serait accueilli « haut et fort » par ceux qui expriment un sentiment anti-patriotique. Plus récemment, lors d’un débat parlementaire le 28 mars sur la répression de la manifestation du 17 octobre 1961, le député RN du Var, Franck Giletti, a fermement critiqué le président Macron, qui, à son avis, « a constamment montré de la soumission devant le gouvernement algérien » et qui « cherche à humilier son pays par des excuses incessantes devenues insupportables ».

Dans ce contexte, il semble difficile de prévoir ce qu’il restera des efforts de réconciliation mémorielle du président français, à moins que celui-ci ne décide de les transformer en un sujet de lutte lors d’une cohabitation conflictuelle. L’application des recommandations du rapport Stora nécessitant en effet la coopération de différents ministères (culture, éducation, défense, etc.), un gouvernement dirigé par le RN empêcherait inévitablement toute initiative. L’avenir de la commission d’historiens franco-algériens, qui travaille notamment sur le partage numérique d’archives et la restitution à l’Algérie de biens appartenant à l’émir Abdelkader (1808-1883), serait alors clairement en danger.

Un conflit inévitable avec le Maroc se profile.

En conclusion, une troisième controverse prévisible avec Alger revolve autour du Maroc, un pays que Mme Le Pen a proclamé en 2022 comme étant « prisé » par la France, un adjectif qu’elle n’a pas appliqué à l’Algérie. Si Jordan Bardella, en tant que Premier ministre, devait accepter la « marocanité » du Sahara occidental, une position défendue depuis des années par Thierry Mariani, député européen soutenu par le RN, ainsi qu’Eric Ciotti, nouveau collaborateur du parti d’extrême droite, un conflit avec l’Algérie serait inévitable.

Ces trois potentiels points de rupture – sur l’immigration, la mémoire et la diplomatie – pourraient plonger les relations entre Paris et Alger dans une nouvelle crise. Cette situation pourrait-elle perdurer ? Il est fort probable que le pragmatisme, nourri par des intérêts humains, économiques et géopolitiques étroitement liés, pourrait finalement triompher sur les positions idéologiques de chaque côté. Quant à l’Algérie, elle a démontré sa capacité à maintenir des liens avec un partenaire de l’extrême droite populiste et xénophobe de l’autre côté de la Méditerranée, comme en témoigne la qualité de sa relation avec l’Italie de Georgia Meloni.

La chronique des liens bilatéraux indique qu’Alger a souvent montré une préférence pour collaborer avec la droite ouverte, comme c’était le cas avec Charles Pasqua lorsqu’il exerçait en tant que ministre de l’intérieur (1986-1988, 1993-1995), et non avec les socialistes naviguant entre droits de l’homme et realpolitik. « Curieusement, un gouvernement d’extrême droite à Paris pourrait être plus facile à manœuvrer du côté d’Alger, rendant les choses plus nettes et directes », suggère un diplomate français. C’est en tout cas l’hypothèse de Marine Le Pen qui affirmait pendant la campagne présidentielle de 2022 : « Après mon élection, je tiendrai un discours audacieux, transparent et compréhensible pour l’Algérie. Je suis convaincue que nos deux nations ont tout à y gagner ».

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