La majorité conservatrice de la Cour suprême des États-Unis a limité, le vendredi 28 juin, le pouvoir des agences fédérales, une décision soutenue par les groupes ultralibéraux en lutte contre la « bureaucratie ». Cette décision marque un changement important par rapport à quatre décennies de jurisprudence.
Cette pratique juridique, connue sous le nom de « doctrine Chevron », accordait aux agences gouvernementales le dernier mot dans leurs domaines de compétence, tels que l’environnement, la protection sociale et les droits des consommateurs. Elle exigeait que les tribunaux fédéraux suivent l’interprétation « raisonnable » de ces agences en cas de doute ou de silence de la loi.
« Les tribunaux doivent utiliser leur jugement indépendant pour déterminer si une agence a agi conformément à l’autorité que la loi lui confère et ne peuvent pas simplement s’en remettre à l’interprétation de l’agence simplement parce que la loi est ambiguë », a écrit le président de la Cour, John Roberts, au nom de la majorité conservatrice. « La doctrine Chevron est maintenant annulée », a-t-il ajouté.
« C’est la limitation des pouvoirs des agences. »
La jurisprudence Chevron « est devenue un pilier du gouvernement moderne, soutenant les efforts de régulation dans divers domaines, par exemple en ce qui concerne la qualité de l’air et de l’eau, la sécurité alimentaire et pharmaceutique et l’intégrité des marchés financiers », a contesté la juge progressiste Elena Kagan dans son avis dissident.
« Le Congrès comprend qu’il ne peut pas rédiger – en réalité, il ne peut pas – des lois parfaitement complètes », a-t-elle souligné, reprochant à la majorité d’avoir décidé, lors de cette session, « de restreindre les pouvoirs des agences, malgré les directives contraires du Congrès ».
Elle faisait allusion en particulier à un verdict prononcé jeudi par la Cour, avec l’appui majoritaire des six conservateurs face aux trois progressistes, qui a refusé à la SEC, le régulateur des marchés financiers américains, la capacité de punir des individus ou des entreprises par le biais de ses juges administratifs, au lieu de recourir à la justice civile classique.
« Un bouleversement non justifié pour le système judiciaire »
Ceux qui critiquent la jurisprudence Chevron soutiennent que l’interprétation des lois est de la compétence du judiciaire, et non des agences fédérales, qui relèvent de l’exécutif. « Un revirement dans la jurisprudence Chevron constituerait un bouleversement inapproprié pour le système judiciaire », avait protesté, lors des discussions en janvier, Elizabeth Prelogar, la conseillère juridique de l’administration du président démocrate Joe Biden, mettant en avant les possibilités d’instabilité que cela pourrait entraîner. Elle prévoyait, dans ce cas, une pagaille juridique, avec « des règles variées dans différentes régions du pays ».
Toutefois, la majorité des juges conservateurs ont semblé réfractaires à ces plaidoyers. L’un d’eux, Brett Kavanaugh, a souligné que cette instabilité est consubstantielle aux institutions démocratiques. « La jurisprudence Chevron elle-même crée des secousses dans le système lorsqu’une nouvelle administration entre en fonction », a-t-il répondu, en faisant allusion au mandat présidentiel de quatre ans, renouvelable une fois. Ces perturbations touchent « aussi bien le droit des télécommunications, des marchés financiers, que le droit de la concurrence ou de l’environnement », a listé M. Kavanaugh.
Paradoxalement, lorsqu’elle a été mise en oeuvre en 1984, cette décision était vue comme une victoire pour l’administration du président républicain Ronald Reagan, qui reprochait aux juges progressistes de submerger les entreprises avec des régulations excessives.
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