Quatre-vingts ans en arrière, dans les derniers jours du mois de juin 1944, la bataille de Normandie faisait rage. On se demande si les souvenirs enfouis de cette bataille sanglante pour libérer la France peuvent être réveillés par des événements mémoriaux. Certains survivants civils de ce combat dévastateur affirment que oui.
Entre février et juin, 65 survivants, actuellement âgés de 86 à 104 ans, ont partagé leurs expériences individuelles de cette époque lors d’entretiens semi-structurés d’une durée d’environ une heure et demie. Francis Eustache, neuropsychologue à l’Inserm de l’université de Caen-Normandie, a dirigé ce projet aux côtés de Peggy Quinette et de Lucie Da Costa Silva, avec le soutien d’historiens, de villes normandes dont Caen, de médias régionaux et de diverses associations.
Le but était d’explorer l’impact des incidents souvent traumatisants tels que les bombardements, les exodes, les blessures et la mort, sur l’identité des individus, qui ont été témoins de ces épreuves en tant qu’enfants, adolescents ou jeunes adultes.
Le compte-rendu complet de ces récits historiques quant à leur effet sur l’identité individuelle est attendu dans quelques mois. Quelques conclusions préliminaires peuvent toutefois être déduites. Francis Eustache note que les narrations des participants sont souvent sereines et détachées. Avec du recul, c’est à ce moment-là qu’ils comprennent vraiment ce qu’ils ont vécu, ainsi que ce que leurs proches ont traversé, et comment ils ont survécu. Cependant, la mémoire d’un traumatisme, comme la perte d’un être cher, reste vive pour certains, même quatre-vingts ans plus tard.
Les témoignages révèlent l’impact significatif des signaux sensoriels et émotionnels dans la réminiscence des sensations, des sentiments, ou des fragments de souvenirs, comme le souligne Francis Eustache. L’évocation de cette bataille, ainsi que les images de guerre diffusées à la télévision, en provenance de l’Ukraine et de Gaza, ravivent leurs souvenirs sensoriels de ces jours sinistres – particulièrement les odeurs. « Quand je vois l’Ukraine, quand je vois Gaza, je me souviens de ma ville normande ravagée, confie un témoin. Et je me rappelle les odeurs de poussière, de poudre et de mort, associées aux victimes ensevelies sous les ruines. » Qui pourrait fabriquer de tels souvenirs, s’interroge Francis Eustache?
On peut aussi relever des « souvenirs » flous de chansons allemandes, de bruits de bottes sur le pavé, l’écho de moteurs de camion ou d’avion. « Avec l’âge, ces sons effraient de nouveau certaines de ces personnes. » Les récits deviennent alors inquiétants et, pour se préserver, ces gens évitent de regarder la télévision le soir et de voir des feux d’artifice…
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