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24 juin 2024 8 h 06 min

« Quête Infinie d’une Connaissance Vivante »

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Bertrand Leclair’s « Puissances de l’art ou la Lance de Télèphe » est une œuvre à la fois libre, rêveuse, errante et en même temps spéculative, rappelant les derniers séminaires de Roland Barthes, dans lesquels il envisageait la possibilité du roman. Cependant, la perspective de Leclair diffère légèrement : ce n’est plus la potentialité du roman qu’il sonde, car, à la différence de Barthes, il est aussi un romancier en plus d’être critique. Sa réflexion porte donc sur l’espace artistique et littéraire, leur raison d’exister, voire leur obligation d’exister.

Leclair mène son analyse telle une investigation, se plongeant dans l’histoire des œuvres d’art qu’il cite tout en questionnant les processus créatifs qui les ont enfantées. Il se promène librement entre différentes formes d’art, textes littéraires et théoriques, sans établir de préférence ou de supériorité entre eux. Son fil conducteur est Marcel Proust, tout comme Barthes, mais il mentionne également d’autres figures notoires comme Roger Caillois, Nicolas Bouvier, Samuel Beckett, Pascal Quignard, Arthur Rimbaud, Hélène Cixous, Vassily Kandinsky, Paul Klee et même ses propres écrits.

Chaque citation mentionnée par Leclair est comme un écho, une réverbération de son argument, s’entremêlant entre le corps du texte, les notes et les digressions. Sa prose se dévoile dans une orchestration polyphonique et chorale, nous guidant à travers un dédale éblouissant et déconcertant de dialogues et de voix. Leclair lit autant qu’il écrit car la lecture est en soi une forme d’écriture.

Cette navigation flottante reflète une méthode, une forme quasi disciplinaire, où Leclair effectue des décalages cruciaux en distinguant constamment : il substitue savoir avec connaissances, pouvoir avec puissance, culture avec art, à la rigidité résonnante, il préfère les états liquides, fluides, évasifs, ou encore déchirés, balayés par l’air et le vent. Restant dans le contexte de « connaissance », il comprend « co-naître », comme l’a fait Paul Claudel avant lui, c’est-à-dire de « naître avec » l’objet de connaissance : une sorte de renaissance imprégnée d’ignorance.

Un chaos primordial

De plus, la puissance est l’expérience des possibles attisée par le dynamisme de la vie, en amont de tout ordre établi, que le pouvoir, au contraire, tente d’instaurer et de perpétuer. Ce qui se déroule de chaque côté de cette frontière est un mouvement inverse à l’ordre institué (ceci montre que Puissances de l’art est un livre politique), afin de retrouver un « chaos » primordial, une fissure dans la trame narrative du monde, offrant une connexion à l’expérience: « Le rapport à la vie et le rapport à l’art sont une seule et même chose », écrit-il.

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