/ »« Le Temps des cerises », une oeuvre de Montserrat Roig, a été traduite en français par Marc Audi. Le livre de 232 pages peut être acheté pour 20 €, ou en version numérique pour 15 €.
Natalia Miralpeix, la protagoniste, a vécu une douzaine d’années loin de Barcelone, sa ville de naissance. A 36 ans, elle décide de rentrer, peut-être prématurément pour une photographe qui n’a pas encore couvert toute la planète, et assez tard pour une migrant forcée qui peut avoir du mal à se readapter à son pays d’origine. Natalia quitte alors un jeune amoureux à l’étranger pour retourner en Espagne. En 1974, le pays connaît les signes d’une fin imminent du franquisme, juste une année avant la mort du Caudillo. Comme le note le chauffeur de taxi, l’Espagne a beaucoup changé – avec l’entrée anticipée dans le Marché commun d’une part, et une répression continuelle et brutale des dissidents de l’autre. Barcelone s’est modernisée, avec des rues asphaltées et l’absence de tramways. Pourtant, certains quartiers semblent plus dégradés que jamais. »/
Le récit de Montserrat Roig (1946-1991), un phénomène éphémère dans la littérature catalane dont la brève mais influente œuvre continue de marquer les générations futures, navigue entre deux périodes, deux endroits, et les mouvements de progrès et de déclin. Leurs acteurs principaux sont deux familles aisées, les Miralpeix et les Claret, reliés par des rapports professionnels et familiaux. Roig décrit précisément comment l’Espagne progresse – ou stagne – post-guerre civile. Bien que la jeunesse soit en pleine effervescence, tournée vers l’Europe et l’Amérique, leurs aînés semblent trouver un certain confort dans la situation politique, se repliant sur leurs propres préoccupations : l’architecture et le développement immobilier. Natalia est stupéfiée de découvrir que ses neveux et leurs amis sont largement ignorants de l’histoire de la République et de la guerre qui a conduit à la dictature de Franco, reflet de toute une nation qui préfère oublier son passé. Quand viendra donc le temps pour une véritable transformation ?
La sophistication du roman, mélangeant les perspectives des différents personnages dans une sorte de flot de conscience déboussolant, réside dans sa capacité à déplacer constamment les points de vue sur la situation. Natalia, qui au départ semble être la voix d’un monde moderne s’opposant à l’apparent conservatisme de son père avec lequel elle est en désaccord, se révèle être une personnalité plus nuancée au fur et à mesure que l’histoire de la famille se dévoile : elle est une ancienne militante communiste qui a choisi une vie égoïste, ne s’occupant pas de sa mère malade. Quant à la supposée passivité politique du père, elle prend un nouveau sens lorsque son expérience dans les camps de concentration est révélée au lecteur.
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