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23 juin 2024 0 h 09 min

« Humains essentiels pour entraîner IA »

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Le rôle humain dans le développement et l’optimisation des Intelligences Artificielles (IA) est plus significatif qu’on ne le croit généralement. Des systèmes complexes de reconnaissance d’images, analyse de textes et manipulation de sons exigent l’intervention de collaborateurs clés, décrits ici comme les « petites mains ». Deux sociologues prometteurs, Maxime Cornet, doctorant à l’Institut interdisciplinaire de l’innovation, et Clément Le Ludec, affilié au Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques à Paris, qui a défendu sa thèse doctorale en mars, se sont concentrés sur le rôle de ces individus en enquêtant, depuis 2021, sur environ vingt firmes opérant dans ce domaine en France. Cette recherche les a conduits à analyser sept sous-traitants basés à Madagascar et à interroger près de deux cents de leurs salariés. Leurs conclusions ont été publiées en 2023 dans la revue Big Data & Society, sous le titre « Le problème de l’annotation. Travail humain et externalisation entre la France et Madagascar », co-écrit avec Antonio Casilli. Les humains restent cruciaux pour les systèmes d’IA, mais pourquoi est-ce le cas ?

Selon Clément Le Ludec, ces méthodes permettent de classifier et de détecter suivant certaines règles d’apprentissage. Un grand volume de données visant la formation, comme des images, vidéos et textes, sont utilisées pour leur développement pour parvenir à généraliser les réponses sur de nouvelles données. Les humains jouent donc un rôle clé dans la formation des IA, que ce soit pour générer des données en se filmant par exemple, ou pour confirmer que les prédictions de chaque modèle sont correctes. L’activité principale est d’annoter les textes ou images en vu de créer un corpus d’apprentissage. Par exemple, il s’agirait d’indiquer sur une photo d’une intersection quels sont les panneaux de signalisation, ou de repérer si un client est en train de dérober quelque chose dans un magasin. Même l’IA dite générative necessite de nombreuses annotations pour que le programme puisse apprendre ce qui est une bonne réponse selon des critères spécifiques. Dans notre base de données répertoriant les entreprises qui ont recours à ces tâches humaines, un tiers relève de l’industrie du traitement automatisé des langues.

Quant à Maxime Cornet, il a relevé une quatrième activité encore plus « extrême », consistant à embaucher des personnes pour simuler une intelligence artificielle auprès des clients.

Comment cette travail sous-jacent est-il réparti ?

M. C. indique que bien que certaines entreprises préfèrent gérer ces tâches en interne, surtout si les informations en cause sont délicates, la plupart confient que ces tâches laborieuses et monotones, qui peuvent inclure l’examen de centaines d’images chaque jour, ne trouvent pas de preneurs en France. C’est pourquoi nous observons l’externalisation croissante vers des professionnels à Madagascar. On ne dispose pas à ce jour d’une étude quantitative permettant d’évaluer l’étendue de cette externalisation, mais d’après notre registre d’une vingtaine d’entreprises, les deux tiers utilisent ce type de sous-traitance pour le traitement des données. De plus, nous estimons que ce dernier représente entre 5% et 10% du coût total d’un logiciel d’IA. Contrairement aux affirmations courantes, l’avènement de l’intelligence artificielle ne provoque pas des pertes d’emplois en raison de l’automatisation, mais tend plutôt à rélocaliser ces emplois dans les pays en voie de développement.
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