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« Désarroi à Abidjan: Transmission de Langue Maternelle »

Bakary Traoré redoute plus que tout les rencontres familiales. Ce dynamique cinquantenaire n’a pas d’animosité envers ses parents proches, au contraire. Cependant, chaque réunion de famille évoque chez lui un sentiment familier : la honte. « Lorsque mon frère communique avec ses enfants en dioula [une langue de la famille des langues mandingues, qui est parlée en Côte d’Ivoire, au Mali et au Burkina Faso], mes propres enfants les observent avec étonnement, ne comprenant pas une seule de leurs paroles », déclare ce père de deux filles de 22 et 9 ans et deux fils de 17 et 16 ans.

La situation est encore plus déplaisante pour ce chauffeur d’une ONG internationale lors des repas de famille réguliers à Abidjan. Un de ses frères, qui a déménagé en France en 1977, parle aussi dioula à ses enfants. « Il a réussi à leur transmettre la langue de nos parents malgré la distance de plusieurs milliers de kilomètres, tandis que je n’ai pas pu », avoue-t-il. Sa femme, Mandia, et lui ont tenté de rectifier leur erreur il y a quelques années. Cependant, leurs enfants n’ont réussi à mémoriser que les « mots prononcés pendant les altercations « , précise-t-il, avec un rire amer.

Koné Dossongui, originaire du Nord, et sa femme, du Sud, sont tous deux incapables de transmettre leurs langues maternelles, sénoufo et ahizi, à leurs trois enfants respectivement. Dossongui, un fonctionnaire au ministère de l’éducation, déclare avec regret sa défaillance à conférer à ses enfants le « bagage culturel » véhiculé par une langue incluant coutumes, normes sociales, l’histoire ethnique, la perspective du monde et la manière d’aimer. La langue adoptée à la maison devient alors le français.

Cette situation n’est pas rare, spécialement à Abidjan, la métropole économique de la Côte d’Ivoire avec une population de sept millions. L’apprentissage du français, qui à l’origine n’Est pas une langue maternelle des Ivoiriens, commence à faire ses racines à Abidjan. Cette réalité est plus prononcée dans les quartiers aisés où le français de plus en plus rempli l’espace des langues locales. Jean-Martial Kouamé, professeur et directeur de l’Institut de linguistique appliquée à l’université Félix Houphouët-Boigny à Abidjan, explique que cette tendance est résultante de la rapide urbanisation du pays qui encourage les mariages interethniques (couples de différentes communautés linguistiques), incitant ainsi l’usage du français. En outre, dit-il, « la ville a la propension à effacer les particularités locales ».

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