La question brûlante qui anime les discussions lors des défilés parisiens est celle-ci : qui seront les futurs designers à occuper la barre dans les maisons de couture telles que Givenchy, Chanel ou Dries Van Noten actuellement sans tête de proue? Ces postes de direction sont indéniablement disponibles, comme l’illustre la Fashion Week masculine printemps-été 2025, qui s’est déroulée à Paris du 18 au 23 juin, où la richesse de talents était indéniable. Qu’ils soient nouveaux créateurs ou indépendants aguerris, Paris possède un vivier de talents que les grands groupes devraient considérer.
On peut se demander pourquoi Burc Akyol n’a pas encore été recruté. Sa collection « Cœur ouvert », dévoilée à l’Institut du monde arabe, a attiré beaucoup d’attention malgré des moyens modestes. Son récent mariage a servir d’inspiration pour cette collection mixte, proposant des looks soirée non conventionnels : un pantalon de smoking associé à un bustier péplum semi-ouvert, ou une chemise blanche, longue comme une robe, avec un boutonnage décentré.
L’attention aux détails est aussi manifeste dans cette collection. On peut le voir notamment sur les pulls brodés de perles le long des contours des trous, ou encore le voile blanc diaphane qui tombe d’un pull en rose ancien. Plus que l’originalité des créations, l’exécution démontre une réelle finesse. « Je m’efforce d’investir toute mon énergie dans ce défilé », déclare Burc Akyol. « J’ai tant de choses à exprimer, mais seulement cinq minutes pour le faire. »
Tenues unisexes.
Christophe Lemaire, fondateur de Lemaire, a eu l’honneur de travailler pour une maison renommée, menant avec brio les collections féminines d’Hermès de 2011 à 2014. Aujourd’hui, aux côtés de Sarah-Linh Tran, il se focalise sur sa propre marque, offrant une garde-robe à la fois unique et facile à porter. Le duo s’affirme comme désireux de conférer du style tout en restant solidement attaché à la réalité, tentant de saisir les désirs et besoins de leurs clients.
Les créations masculine et féminine s’imbriquent, alternant entre volumes enveloppants et silhouettes allongées. Certains ensembles en coton drill évoquent une rigueur amish, tandis que d’autres, réalisés en laine ultrafine ou en jersey de soie, épousent délicatement le corps. Mais tous répondent à la philosophie du duo concernant la mode : les vêtements doivent être complices, proposer des solutions au quotidien, pour permettre à chaque personne de dévoiler la meilleure version d’elle-même.
Chez Auralee, chaque détail est précieux. À l’image de cette garde-robe indifférenciée maîtrisée avec une simplicité qui rappelle les balades estivales dans un parc urbain, chacun absorbé dans ses propres activités, un journal sous le bras ou des écouteurs aux oreilles. Fondée en 2015 par Ryota Iwai, cette maison japonaise revisite saison après saison les pièces fondamentales de la garde-robe. Sa particularité réside dans le fait que chaque matière a été spécifiquement développée pour lui, créateur de 41 ans formé au Bunka Fashion College de Tokyo.
Les blouses sont confectionnées en laine ultra-légère, les sweats sont façonnés dans un cachemire délicat et le sergé de coton enrobe les pantalons chinos. Le style est décontracté mais attrayant, comme en témoignent ces superpositions de chemises unies et plaid aux cols ouverts, ce blouson aviateur beige combiné avec un pull gris chiné, ou encore ces amples pantalons de costume bruns.
Dans la mode, Jun Takahashi du label Undercover, un compatriote, présente des designs plus sophistiqués mais tout aussi subtils : des pièces en lin gaufré, des vestes en patchwork ou avec un dégradé de couleurs, des capes qui flottent au vent dans des nuances pastel. Les tenues portées par des hommes avec des voiles sur le visage ou des masques de dentelle semblent être tirées d’un conte de fées.
Du côté de Jeanne Friot, sa start-up de mode lancée en 2020 semble avoir des difficultés pour trouver son modèle économique. Le défilé de Friot est soutenu par l’École Duperré, où elle a obtenu son diplôme, et l’application de rencontres Tinder. Sa collection mixte et non genrée, inspirée par les « idoles » diverses qu’admire Friot, telles que Jeanne d’Arc et Kurt Cobain, offre des silhouettes variées mais puissantes. On y trouve une large chemise et une minijupe tartan jaune ; un hybride de veste, mi-jean mi-costume, avec un short noir ; une combinaison parsemée de taches de peinture.
Pour Friot, « Les idoles nous montrent comment rester résilients dans un monde où les jeunes créateurs luttent constamment pour se faire une place et inventer de nouvelles modes de représentation. » Bien qu’elle ne semble pas avoir encore trouvé son chemin, il est évident que sa mode non genrée et écologiquement responsable s’accorde avec les aspirations d’une audience -une jeune audience- qui s’est déplacée en masse pour son défilé.
Grace Wales Bonner est continuellement mentionnée par les professionnels de l’industrie chaque fois qu’un poste se libère dans une grande maison. En une décennie, cette Jamaïco-Britannique a réussi à établir une robuste réputation de virtuosité dans le design et le style. Cette collection unisexe est un exemple parfait, mettant en valeur l’œuvre peu connue de l’illustratrice textile Althea McNish (1924-2020). Originaire de Trinité-et-Tobago, elle s’est installée à Londres dans les années 1950 et a notamment travaillé pour Dior et Liberty.
Dans cette collection, ses motifs de fleurs et tropicaux sont présentés sur des vestes à fermeture éclair, des blazers, des shorts et des casquettes. Il y a également des vestes utilitaires, des costumes en satin et des pulls en laine mouchetée colorée portés près du corps. On s’attend à un franc succès pour la paire de baskets Superstar entièrement recouvertes de paillettes, réalisée en collaboration avec Adidas. La société multinationale allemande a clairement perçu le potentiel de Grace Wales Bonner.
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