Lorsqu’Edgar Roditsenko franchit pour la première fois les portes de l’école municipale Mahtra en septembre 2021, il a le sentiment d’avoir été projeté dans un passé lointain. Les leçons étaient dispensées en russe et les méthodes pédagogiques des professeurs, la plupart ayant plus de 50 ans, lui rappelaient fortement l’ère soviétique. L’école, située au coeur des immeubles de l’arrondissement russophone de Lasnamäe, à l’est de la capitale estonienne, Tallinn, compte 720 élèves, du primaire à la 3e, majoritairement issus de milieux défavorisés. Une petite fraction seulement réussit l’examen d’estonien à la fin du collège, un pré-requis pour l’admission au lycée.
Arborant une silhouette élancée et des boucles noires, l’homme de 36 ans, Edgar Roditsenko, a délaissé son poste de professeur d’histoire et de musique dans l’une des institutions scolaires les plus honorables de Tallinn pour devenir le dirigeant de cette école. Malgré le risque de créer des remous parmi ses pairs – un tiers démissionnera dans l’année qui suit -, il fait de l’estonien la principale langue de communication et accorde une priorité à son apprentissage. Le jeune directeur est persuadé que si ses élèves ne se familiarisent pas avec la langue officielle du pays, leurs opportunités seront limitées et ils ne pourront jamais s’intégrer pleinement à la société estonienne.
Edgar Roditsenko, d’origine ukrainienne, possède une histoire spéciale. Son père réside depuis plus de quatre décennies en Estonie, où il est allé retrouver une Estonienne qu’il avait rencontré dans un tramway à Kharkiv, en Ukraine. Ensemble, ils ont eu cinq enfants. Malgré tous ces années passées en Estonie, à l’âge de 75 ans, le père d’Edgar ne maîtrise toujours pas la langue estonienne. Il s’informe uniquement via les médias russes. Son fils explique : « Malgré son vote pour l’indépendance et le fait qu’il ait assisté à l’ascension de Poutine au pouvoir ainsi qu’aux réformes qu’il a instaurées, il n’arrive pas à croire ce qui se déroule en Ukraine. »
La plupart des résidents sont arrivés pendant l’occupation soviétique qui a commencé en 1940. Les débats autour de leur intégration au sein des deux Etats baltes n’ont jamais cessé depuis l’indépendance de ces derniers en 1991. Une des mesures les plus contestées qui a été adoptée est la modification de la loi sur l’immigration par le Parlement à Riga, fin 2022. Cette loi stipule que tous les détenteurs d’un titre de séjour permanent en Lettonie qui sont devenus citoyens russes après l’indépendance doivent faire une nouvelle demande de titre de séjour, comme s’ils venaient d’arriver dans le pays. Les relations entre les différentes coalitions gouvernementales et avec Moscou ont créé un climat de controverses, de malentendus et de méfiance. Toutefois, l’attaque de l’Ukraine par la Russie a changé la situation.
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