M’hamed Maakaf, avec sa tenue traditionnelle blanche, verse de l’eau sur un figuier, investit de tout son être pour le garder en vie. Il est sur un plateau du djebel Nefoussa, en Libye, où le changement climatique pousse des paysans à délaisser leurs exploitations et leurs élevages. Kabao, un village entouré de champs autrefois « florissants et prospères jusqu’au début du nouveau millénaire et où les gens aimaient se balader » était décrit par M’hamed, cet agriculteur âgé de 65 ans.
Cette région située à 200 km au sud-ouest de Tripoli, était réputée pour ses plantations d’amandiers, de figuiers et d’oliviers. Selon M’hamed, elle était « très pluvieuse jusqu’à la décennie 1986-1996 ». A présent, elle offre un spectacle déprimant : au milieu d’un désert rocailleux battu par le vent, les buissons, souffrant d’un manque de pluie et de températures plus élevées que la normale, ont du mal à porter des fruits ou sont totalement desséchés.
Avec plus de 90 % de sa superficie constituée de désert, la Libye est l’un des six pays les plus secs du monde, d’après l’ONU, avec des précipitations annuelles tombées de 400 mm en 2019, à 200 mm sur le littoral et une demande en eau bien supérieure à l’offre disponible.
Le djebel Nefoussa, une région montagneuse à l’ouest de la Libye, culminant à 968 mètres d’altitude et abritant environ un demi-million de personnes sur une population de 7 millions, est un mélange de villages arabes et berbères. Au fil des années, le massif et les plaines se vident progressivement de leurs agriculteurs, chassés par le stress hydrique croissant. C’est un véritable « exode ».
« Le problème ne se limite pas à la simple pénurie d’eau ou à l’agonie des cultures à cause de la sécheresse. Il y a aussi une problématique démographique et humaine à prendre en compte, celle de l’exode massif de nombreuses familles vers la capitale et les villes côtières », déplore Mourad Makhlouf, le premier magistrat de Kabao. « La vie dans les montagnes est actuellement très éprouvante et onéreuse. »
Plusieurs éleveurs ont été contraints de vendre leurs moutons ou leurs chèvres pour éviter de les voir périr. « Comment peut-on faire face à une telle situation qui amène les éleveurs à se séparer de leurs animaux, puisqu’ils leur coûtent en eau et en alimentation deux fois leur valeur marchande ? », s’interroge Suleiman Mohamad, un agriculteur de Kabao, ajoutant que « vivre sans eau, c’est être condamné à mourir ».
En l’absence de pluies, les nappes phréatiques ne sont plus rechargées et la sécheresse anéantit les oliveraies. « Des milliers d’oliviers ont péri, certains ayant été légués par nos ancêtres et ayant plus de deux siècles», déplore M. Maakaf, devant un amoncellement de troncs desséchés.
Il indique qu’avec d’autres villageois, ils arrosent leurs lopins de terre deux à trois fois par semaine, mais l’eau est une denrée coûteuse. Un flot incessant de camions-citernes, entre la station de pompage située en vallée et les villages en hauteur, leur permet de tenir.
Avec l’aide de fonds publics, la mairie fournit de l’eau aux résidents à un tarif subventionné de 25 dinars (environ 5 euros) par chargement de 12 000 litres, cette dernière est« l’une des alternatives proposées, en plus des puits et des réservoirs », précise le maire.
Quand il s’agit de transporteurs privés, le coût de l’eau acheminée sur 40 à 50 km atteint 150 à 160 dinars, soit six fois le coût initial, d’après M’hamed Maakaf.
« Menaces Emergentes »
La ressource précieuse qu’est l’eau provient majoritairement de la Grande Rivière Artificielle (GMMR en anglais). Ce projet colossale a été réalisé dans les années 1980 sous le régime de Kadhafi et est aujourd’hui la principale source d’approvisionnement en eau pour la Libye. Les eaux fossiles non renouvelables des nappes aquifères du cœur du désert sud du pays sont puisées et acheminées par la GMMR vers les villes et régions du nord, couvrant environ 60% des besoins du pays.
« La Libye fait face à l’une des plus grandes menaces émergentes : la pénurie d’eau » selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Il est indispensable pour le pays de prendre des mesures actives pour lutter contre la sécheresse, le risque de désertification et l’élévation du niveau de la mer.
Bien que le pays nord-africain ait signé la Convention de l’ONU sur les changements climatiques en 2015 et ratifié l’Accord de Paris sur le climat en 2021, aucune stratégie de réduction des risques ou plan d’adaptation au changement climatique n’a encore été présenté.
« La sécheresse ne se limite pas au djebel Nefoussa, elle touche l’ensemble du pays. La Libye a besoin d’un plan d’urgence (…) qui ne résoudra pas tous les problèmes, mais permettra de s’adapter » selon le maire de Kabao.