Selon un rapport de l’Unesco intitulé « Le coût de l’inaction », le déficit qualitatif de l’éducation pourrait coûter plus de 10 000 milliards de dollars à l’échelle mondiale d’ici 2030. Ce chiffre dépasse même la somme du PIB de la France et du Japon si les pays du Nord et du Sud ne changent pas leur trajectoire actuelle. Au cours d’une réunion de haut niveau le 17 juin, la directrice générale de l’UNESCO a appelé les 194 Etats membres à veiller à ce que l’éducation ne soit plus un privilège mais un droit pour tous. Elle a souligné les coûts astronomiques et les dommages sociaux de la crise éducative, qui frappe particulièrement les pays en développement, en premier lieu ceux d’Afrique.
Selon Matthias Eck, l’un des auteurs du rapport, chaque point de pourcentage de déperdition scolaire et de compétences déficientes coûte entre 430 et 560 milliards de dollars aux budgets des États. L’Afrique subsaharienne et le Maghreb, les régions les plus touchées par cette crise, perdent respectivement 42% et 38% de leurs revenus fiscaux. Cela réduit presque de moitié les richesses de ce continent, qui peine déjà à collecter les impôts et les taxes. Le rapport met aussi en lumière les « effets dévastateurs du Covid ».
Dans le monde, on compte aujourd’hui 250 millions d’enfants non scolarisés, dont un tiers se trouve en Afrique subsaharienne. Entre l’âge de 6 et 14 ans, un enfant africain sur cinq n’a pas accès à l’éducation primaire et secondaire, et seulement la moitié des adolescents fréquentent le lycée. Selon un analyste spécialisé dans l’inclusion et l’égalité des genres dans l’éducation à l’Unesco, la crise du Covid continue d’avoir des effets dévastateurs.
Ce constat alarmant a été réalisé à partir de plusieurs indicateurs économiques et sociaux de 2021. Cependant, la situation a été aggravée par des crises plus récentes : l’Unicef estime qu’en Afghanistan, 7,8 millions d’enfants sont privés d’école et que les conflits en Ukraine et à Gaza, accompagnés de l’inflation, ont bouleversé la vie de millions d’enfants et appauvri leurs familles. Le Sahel, l’Afrique de l’Est et centrale sont également touchés.
Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) rapporte que près de 21 millions de personnes au Burkina Faso, au Cameroun, au Tchad, au Mali, au Niger et au Nord du Nigeria ont besoin d’une aide vitale d’urgence. À l’Est, les conflits au Soudan et en République démocratique du Congo (RDC) ont déplacé 17 millions de personnes à l’intérieur de leur pays. Ces crises humanitaires majeures relèguent l’éducation au second plan des préoccupations.
Enfin, dans la Corne de l’Afrique, les fortes précipitations et les inondations récurrentes ont conduit les gouvernements à fermer des écoles ou à différer la rentrée scolaire, comme ce fut le cas au Kenya mi-mai.
Problèmes d’éducation en Afrique
Il est particulièrement difficile pour les jeunes filles africaines d’accéder à une salle de classe, et même si elles y parviennent, cela ne garantit pas une éducation de qualité. Plus de 90% des enfants ne peuvent pas lire ni comprendre un texte simple à l’âge de 10 ans dans la région sub-saharienne, tandis qu’au Maghreb, seulement 3 enfants sur 10 acquièrent les compétences de base. Cela a des conséquences directes lorsqu’ils atteignent l’âge adulte, entraînant une augmentation de l’économie informelle et du chômage chez les jeunes.
Ce problème est exacerbé par la croissance démographique rapide de l’Afrique, qui est trois fois supérieure à la moyenne mondiale avec un taux de 2,5% par an. Malgré les efforts soutenus des gouvernements africains pour augmenter le taux de scolarisation au cours des deux dernières décennies, le système éducatif est submergé et manque de personnel qualifié pour dispenser l’enseignement. Les salles de classe sont surchargées, l’absentéisme parmi les enseignants est élevé, les salaires sont souvent payés en retard et les enseignants manquent de formation.
Cependant, les effets de cette crise éducative ne peuvent pas être quantifiés uniquement en termes de pertes financières. Selon le rapport, les conséquences sociales à long terme, telles que la délinquance, les homicides, les violences sexuelles, la corruption et les grossesses chez les adolescentes, ont également un impact sur l’économie. Le rapport a principalement examiné vingt pays, dont cinq en Afrique, qui représentent, selon Matthias Eck, l’ensemble de ces problèmes à l’échelle continentale. Les pays choisis pour cette analyse sont le Maroc, la Tunisie, le Sénégal, le Tchad et le Burundi.
Peu importe le pays, chaque année de scolarité secondaire empêche les jeunes filles de se marier avant d’avoir atteint la majorité. En revanche, l’abandon scolaire augmente presque de deux fois le risque de tomber enceinte à un jeune âge.
« Un droit et une obligation morale »
Les pays africains qui ne respectent pas leur engagement d’investir au moins 20% de leur budget dans l’éducation de leur jeunesse – une réalité pour seulement neuf pays – compromettent l’avenir de tout le continent. Comme Audrey Azoulay l’a souligné à Paris lundi dernier, « l’éducation est une ressource critique pour faire face aux défis actuels, allant de la réduction de la pauvreté à la lutte contre le changement climatique. C’est également un investissement stratégique, l’un des meilleurs pour les particuliers, les économies et la société dans son ensemble. »
Au regard de ces éléments, l’Afrique est la région du monde ayant le plus grand potentiel de développement : une réduction de seulement 10% du taux de décrochage scolaire et une amélioration correspondante de la qualité de l’éducation pourrait augmenter le PIB du continent de 1 à 2 points, selon le rapport. « Avec un effort minimal, il est possible de sortir rapidement de cette spirale infernale de sous-développement, » fait remarquer Matthias Eck. « L’éducation est non seulement un droit et une obligation morale, mais c’est aussi très lucrative. »
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