Lors du scrutin européen le dimanche 9 juin, la liste de Jordan Bardella était en tête dans 93% des municipalités. Le monde des arts et de la culture a depuis lors commencé à se mobiliser, en tenant des assemblées, en apposant leur signature sur des éditoriaux, et en faisant appel à la mythologie ( » No pasaran ! » – » Ils ne passeront pas ! ») et à l’historique (Front populaire). Il est coutumier pour le monde de l’art, qui est fermement ancré à gauche, de percevoir l’adversaire comme une bête invisible ou qu’ils choisissent de ne pas voir. Nous devrions nous demander : quelles sont les représentations esthétiques, culturelles et artistiques du peuple qui vote à l’extrême droite ?
Au cours des dernières années, l’art a été dominé par des questions de société qui ont mis en veille l’enjeu formel. Certaines œuvres sont même accompagnées de textes militants qui indiquent au public comment les interpréter. Puisque l’art est censé aider à comprendre le monde, on pourrait s’interroger sur la raison pour laquelle ce public très conservateur ne pourrait pas aussi avoir droit à des représentations culturelles, surtout qu’il n’a cessé de croître au cours des deux dernières décennies.
On connaît son noyau : des employés et des ouvriers modestes, mais non pauvres, des Blancs résidant dans des petites villes ou dans des maisons de banlieue et des régions rurales, qui se sentent dévalorisés, qui déplorent l’échec ou le manque de services publics, qui pensent que trop d’aide est accordée aux étrangers ou que les minorités sont trop mises en évidence. Ils dénoncent l’immigration, l’insécurité et les directives écologiques. Ils estiment que les valeurs françaises sont bafouées et ils l’expriment en votant ou en menant des actions sur les ronds-points ou ailleurs.
Force est de remarquer que la représentation de la France rurale est particulièrement absente dans le domaine du cinéma, de la photographie et du théâtre, trois disciplines artistiques visuelles donnant corps et visages au peuple. C’est une problématique notable. Autrefois, l’image du « Français ordinaire » était communément associée à un personnage grossier, raciste ou méchant. Cette caricature a été parfaitement incarnée dans le film Dupont Lajoie (1975) d’Yves Boisset, où Jean Carmet joue le rôle d’un cafetier qui, lors de ses vacances en caravane dans le Sud, viole et tue une jeune femme, avant de faire porter le chapeau à un ouvrier algérien qu’il a aidé à assassiner.
Aujourd’hui, la situation a évolué, mais l’indignation et l’empathie des artistes demeurent sélectives : ils ont tendance à négliger les oubliés de la globalisation lorsqu’ils pensent que ceux-ci renforcent le vaste mouvement réactionnaire. En revanche, ils dépeignent largement les victimes de discrimination et de racisme, les migrants, les plus défavorisés, et mettent en avant les luttes écologiques, féministes ou LGBT.
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