Antoine Rougeron est un observateur passionné de la faune aviaire qui a consacré les deux dernières décennies de sa vie à surveiller l’horizon avec un équipement de jumelles. Depuis son bureau improvisé, souvent situé dans une forêt ou au bord d’une route, il compte les oiseaux – principalement le busard cendré, l’oiseau pour lequel il a toujours eu un faible depuis qu’il l’a étudié dans son mémoire en conservation de la nature. Il se souvient avec nostalgie d’avoir autrefois répertorié vingt-quatre couples à lui seul, mais cette année, lui et son collègue n’ont pu en compter que cinq.
L’espèce à laquelle appartient le busard cendré a tendance à construire ses nids à même le sol des plaines cultivées. Malheureusement, leurs jeunes sont souvent pris pour cible par les machines agricoles avant même d’avoir eu la chance d’apprendre à voler. Les rares qui survivent sont alors confrontés à des difficultés croissantes, comme les migrations, les éoliennes et la disparition progressive de leur source de nourriture en raison des insecticides. Ces pensées accompagnent toujours Antoine lorsqu’il manie ses jumelles. Travaillant pour la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), il constate, à sa grande frustration, que malgré tous ses efforts, il semble perdre la bataille pour la préservation de ces oiseaux.
Sans prévenir, un pulvérisateur pénètre dans le champ, déployant ses bras mécaniques. Pour Antoine Rougeron, c’est une autre petite pluie de phytosanitaires qui s’abat sur les alouettes, si elles sont présentes. Comme bien d’autres espèces qui préfèrent faire leur nid sur le sol plat des grandes cultures, la population d’alouettes rétrécit lentement mais sûrement, diminuant d’environ 1% à 2% chaque année. « Il y a deux décennies, en cherchant les busards, on pouvait entendre l’appel réciproque de deux ou trois cailles des blés qui se distinguaient par leur chant amusant: ‘Pouuuiiit, pouit, pouit !’ Je ne les entends plus depuis bien des années. » Des espèces comme le busard cendré, l’alouette des champs et la caille des blés nichant à l’abri dans les champs d’orge ou de colza sont des exemples vivants d’un phénomène qui les dépasse.
Une biodiversité redéfinie.
Moins de trois décennies ont suffi pour voir disparaître quatre cent vingt et un millions d’oiseaux des cieux européens. Ce chiffre semble dérisoire en comparaison des cinquante milliards d’oiseaux qui peuplent notre planète, mais il s’agit là d’un déclin significatif et rapide. Chaque année, environ vingt millions de ces créatures à plumes quittent nos regards en Europe. Le réchauffement climatique en est principalement responsable, provoquant le déplacement de nombreuses espèces et le décès de beaucoup d’autres, redéfinissant ainsi les cartes de la biodiversité. Ainsi, des espèces comme l’élanion blanc et le guêpier d’Europe sont aujourd’hui répandues dans toute la France. La corneille, le merle noir et le pigeon ramier semblent en bonne santé, tandis que d’autres, comme le moineau friquet et le pipit farlouse, sont en voie d’extinction.
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