L’Arabie pré-islamique n’était pas seulement un désert désolé peuplé de tribus conflictuelles et sans aucune trace de politiques, de culture ou de religiosité organisées. Les experts historiens ont travaillé sans relâche ces dernières décennies pour rectifier ce tableau trompeur qui reste parfois solidement ancré dans l’imaginaire collectif.
L’idée déformante a pour origine l’articulation idéologique établie aux premiers temps de l’Islam. Comme c’est le cas pour toutes les religions révélées, il était crucial d’imposer l’idée d’une rupture. Les premiers théologiens musulmans ont par conséquent dévalué l’époque pré-coranique, la regroupant sous le nom de jâhiliyya, ou « l’époque de l’ignorance ».
Toutefois, cette vision n’est pas complètement sans fondement, tempèrent les historiens. Elle est néanmoins le reflet d’une période de déclin qui ne dure que deux générations avant l’Hégire [désigne l’exil de Mahomet et de ses adeptes chassés par les Mecquois à Médine, en 622, qui marque le début du calendrier musulman]. Cette image efface donc toute une histoire politique, culturelle et religieuse antérieure d’une grande richesse.
Les recherches archéologiques effectuées dans la région, notamment sur des millions de textes inscrits sur des rochers du désert, ont réellement commencé dans les années 1970 et se sont intensifiées à partir des années 2010 (suite au soutien du royaume saoudien pour la recherche, lui trouvant également un potentiel touristique). Elles permettent progressivement de réhabiliter cette période historique. L’Arabie était en fait urbanisée depuis plus de 3000 ans.
La première manifestation d’urbanisation en Arabie a été observée au premier millénaire avant l’ère chrétienne. Cette date fluctue en fonction des régions, que ce soit le nord du Hedjaz (à l’ouest de la péninsule), les rives du golfe Persique arabe ou le sud-ouest de l’Arabie (Yémen et environs). Selon Jérémie Schiettecatte, archéologue et chercheur à l’Université CNRS, l’agriculture irriguée a été un facteur fondamental de l’évolution de ces régions habitées. Dans le sud de l’Arabie, les inondations causées par la mousson ont été contrôlées grâce à des systèmes de déviation. Dans la péninsule d’Oman à l’est, des canaux souterrains ont été creusés pour capter l’eau des eaux souterraines. Au nord, ils ont creusé des puits.
Le développement de ces régions a également été favorisé par l’établissement de réseaux commerciaux à longue distance grâce à la domestication des chameaux. Des liens se sont alors tissés entre les grands centres urbains de l’Arabie, tels que Yathrib (maintenant connue sous le nom de Médine), Sanaa, Marib, Tayma, etc. Ils se sont également étendus à l’extérieur de l’Arabie, atteignant la Mésopotamie et la ville de Gaza, un point d’arrivée pour de grandes caravanes. De ces points, des marchandises telles que des épices, de l’encens et des herbes étaient ensuite exportées vers la Méditerranée.
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