Plus de trois décennies après la réunification, l’Allemagne demeure divisée politiquement. Lors des récentes élections européennes, le parti d’extrême droite AfD a triomphé dans l’ancienne Allemagne de l’Est avec près de 30% des suffrages, mais n’a obtenu que la quatrième place avec 13% des voix dans la région historiquement occidentale du pays. La droite conservatrice (CDU-CSU) a remporté une victoire décisive à l’Ouest avec 31,5% des voix, bien qu’elle ait obtenu la deuxième place dans l’Est, neuf points derrière l’AfD.
Les performances exceptionnelles de l’extrême droite dans l’ancienne Allemagne de l’Est étaient prévisibles. Cependant, son influence ne se limite pas à cette région. «Dans les régions vieillissantes de l’ancienne Allemagne de l’Ouest, comme certaines parties de la Bavière ou de la Hesse, où l’industrie est en déclin, l’AfD a également obtenu de bons résultats», déclare Hans Vorländer, professeur de sciences et d’histoire politiques à l’Université de Dresde. «Cependant, dans la partie orientale du pays, un autre facteur joue un rôle : un sentiment d’indifférence, une perception que la réunification s’est faite au détriment de la population, comme si l’Allemagne de l’Ouest avait en quelque sorte colonisé l’Allemagne de l’Est», ajoute M. Vorländer.
Suite aux résultats réussis obtenus par l’AfD, les difficultés rencontrées au cours de sa campagne, y compris le lancement de deux enquêtes pour financement illégal en provenance de Russie et de Chine contre son candidat principal, la minimisation par ce dernier des crimes commis par les SS, et la divulgation d’un prétendu « plan de rémigration » par le parti pour renvoyer des millions d’Allemands d’origine étrangère en Afrique du Nord, ne semblent pas l’avoir nui beaucoup. « Il est possible que sans ces scandales, l’AfD aurait recueilli davantage de voix, mais il faut néanmoins noter qu’il a fait une avancée significative par rapport aux élections européennes de 2019 [avec un total de 15,9 % des voix, soient une augmentation de cinq points]. Pour une bonne part de l’électorat, le fait qu’il s’agit d’un parti d’extrême droite suspecté d’être financé par le Kremlin ne constitue nullement un élément dissuasif », souligne Johannes Kiess, un professeur de sociologie à l’Université de Leipzig et un expert en politique d’extrême droite.
« Un vocabulaire de paix »
Dans le contexte des récentes élections européennes en Allemagne, l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), nommée d’après une ancienne chef du parti de gauche Die Linke, a fait une entrée notable. Elle a remporté 6,2% des votes au niveau national et 13,8% dans les anciens Länder de l’ex-Allemagne de l’Est. La principale interrogation concernait la capacité de ce nouveau parti, qui se positionne à l’extrême gauche sur le plan social tout en adoptant une posture conservatrice sur les questions sociétales, notamment l’immigration, à contrecarrer l’essor de l’AfD. Les résultats des élections de dimanche sont quelque peu nuancés. M. Kiess précise que le BSW semble avoir plutôt attiré d’anciens électeurs du Parti social-démocrate (le SPD du chancelier Olaf Scholz), des personnes qui ont déjà voté pour Die Linke ou des non-votants, mais pas nécessairement beaucoup d’électeurs de l’AfD. Benjamin Höhne, professeur de sciences politiques à l’Université de Chemnitz, confirme que le parti de Mme Wagenknecht n’a pas rassemblé un grand nombre d’électeurs de l’AfD, mais a plutôt attiré des électeurs de Die Linke, le SPD et même la CDU.
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