Jérémie Moualek, un sociologue qui travaille au Centre Pierre-Naville de l’Université d’Evry et à l’Institut national de l’audiovisuel, dirige actuellement des recherches sur les élections de 1956 à aujourd’hui. Il a examiné comment la phrase « vote contestataire » a été utilisée dans le passé pour expliquer les succès électoraux du Rassemblement national (RN), et pourquoi elle n’est plus largement utilisée maintenant.
Au cours des élections européennes de 2019, et à d’autres moments de scrutin, l’idée d’un « vote contestataire » a parfois servi pour analyser les résultats du RN en France. Est-ce que cette idée a eu le même impact récemment ?
Il semble que la victoire du RN le 9 juin – avec plus de 30% des votes, mais seulement 15% des inscrits – démontre aux politiques et aux médias que le choix des électeurs ne peut pas seulement être vu comme une protestation sans base sociologique ou idéologique. Cette interprétation a été moins utilisée dimanche qu’à d’autres moments où elle est devenue un refuge : la croissance stable du RN et la publication d’études démolissant cette analyse ont mis fin à cette perspective. Ceux qui s’appuyaient sur cette analyse ne peuvent plus se contenter de cela.
Qui a principalement utilisé cette idée et depuis quand est-elle en place ?
L’idée du vote de protestation, un concept de compréhension électorale, est apparu dans les années 1980 en réponse à l’augmentation de popularité du Front National [FN], plus précisément après les élections européennes de 1984 où le parti d’extrême droite a obtenu 10,95% des voix. Cet émergence de terme met en lumière une rupture de compréhension dans le domaine politique et médiatique, tentant de cerner un phénomène incompréhensible – l’«arrivée » de ces votes pour le FN.
Initialement utilisée par d’autres partis politiques dans le but d’éclipser l’ascension du FN, ce concept a été repris par les médias, se solidifiant au cours des différentes élections, surtout européennes, pour finalement devenir un cliché sans définition claire.
Pourquoi cette interprétation est-elle critiquée ? Rapidement sur-exploitée, cette interprétation est devenue un outil incontrôlé dans les médias et le domaine politique, en dépit de son caractère réducteur et facilement critiquable. C’est une analyse simpliste qui regroupe divers actes contradictoires – voter pour des partis d’extrême droite ou gauche, abstention, vote blanc, etc. – alors que les sciences sociales et politiques, bien qu’elles reconnaissent parfois des pratiques électorales opposées, démontrent qu’il est impossible d’attribuer une signification unique à chaque vote.
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