Située au terminus de l’allée ornée de palmiers, en plein cœur du parc botanique de Shekvetili à l’ouest de la Géorgie, se trouve la résidence secondaire de Bidzina Ivanichvili. L’endroit est à peine visible derrière la grille fermée surveillée par l’un des fidèles compagnons de l’oligarque, un ex- voyou transformé en gardien. Le parc, recouvrant soixante hectares, est parsemé de caméras de surveillance habilement cachées. Comme le gardien a coutume de dire avec un demi-sourire : « Ici, même les arbres ont des yeux ». C’est dans ce havre de paix, où cohabitent arbres exotiques, flamants roses et perroquets, que l’homme le plus puissant et le plus riche de Géorgie aime se retirer lorsqu’il délaisse son palais de verre et d’acier qui surplombe Tbilissi.
Le parc, qui est à la fois une passion, une excentricité et une illustration parfaite de la gouvernance qu’il a mise en place en Géorgie, est une autre de ses précieuses réalisations. L’ancien chef du gouvernement et fondateur du parti politique Rêve géorgien, a déplacé des arbres séculaires de l’Afrique jusqu’à ici. Les Géorgiens ont dû se faire à la vue de ces arbres traversant silencieusement la mer Noire par bateau, et devoir patienter lorsque leurs villes sont bloquées pour permettre le passage des convois.
Gia Khoukhachvili, son ancien conseiller et ami d’autrefois, compare son approche politique à la création de ce jardin paradisiaque : « Bidzina enlève les politiques, les députés et les ministres de leurs fonctions et les installe à d’autres postes, comme s’ils étaient des magnolias. Ils exécutent tous ses ordres. Il les arrose et les nourrit tant qu’il les aime, et sinon…»
Ce jardin luxuriant, où des arbres imposants sont tenus au sol par des fils tendus, est l’un des rares indices visibles de la présence de Bidzina Ivanichvili en Géorgie, un homme aussi discret qu’influent. Comme le plaisante M. Khoukhachvili, « il est omniprésent et invisible à la fois ». En réalité, Ivanichvili n’a occupé qu’une brève période à la tête du gouvernement entre 2012 et 2013, sans aucun autre poste officiel, et détient maintenant uniquement le titre honorifique de président du Rêve géorgien depuis décembre 2023.
Référence au « parti de guerre mondiale »
La tranquillité des lieux présente un contraste frappant avec le tumulte qui s’est saisi du pays, bouleversé par des protestations massives contre la loi sur l’influence étrangère depuis deux mois. Le texte de loi, modélisé sur une loi russe et adopté le 3 juin, cherche à museler les médias indépendants et la société civile. Plus fondamentalement, il signale un changement radical et sans précédent dans l’orientation géopolitique du pays depuis son indépendance en 1991, en pivotant de l’Europe vers la Russie, un ennemi de longue date qui occupe 20% du territoire depuis la guerre de 2008. Ce revirement est d’autant plus choquant que le pays a reçu le statut de candidat à l’Union européenne en décembre 2023. Furieux, les Géorgiens, 80% d’entre eux se définissant comme pro-européens, dénoncent une « trahison ».
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