Afin de rechercher leur vérité, ils se sont rendus au cœur du Tessin. Au début du XXe siècle, le Monte Monescia, situé près d’Ascona en Suisse, se transforme en foyer pour une communauté d’anticonformistes, accueillant les âmes les plus libérées de cette époque. Ils renomment la colline désolate qui surplombe le Lac Majeur, Monte Verità, ce qui signifie « la montagne de la vérité ». Les fondateurs comprennent Henri Oedenkoven, le fils d’un riche industriel d’Anvers, Ida Hofman, une pianiste du Monténégro, et l’artiste Gustav « Gusto » Gräser et son frère Karl, tous deux originaires de Transylvanie en Roumanie.
Ces dissidents bourgeois et artistes excentriques ont trouvé refuge dans cet endroit pour fuir l’ordre établi, la société industrielle et les dogmes de l’époque. Leur colonie est siègée par le naturisme, le féminisme et le végétarisme, tout en étant régie par la théosophie, une philosophie occultiste qui était très populaire à l’époque, incorporant des éléments du spiritisme, du bouddhisme et de l’hindouisme. Ils l’ont saupoudrée du concept allemand de Lebensreform (reformation de la vie), une approche qu’ils désiraient révolutionner.
Leur idéologie attire rapidement des anarchistes, des psychanalystes, des écrivains, des artistes et des danseurs. Des personnalités éminentes comme les écrivains Thomas Mann et Hermann Hesse, les dadaïstes Hugo Ball et Hans Arp, la peintre Marianne von Werefkin et son mentor, Alexej von Jawlensky, ont traversé cet endroit pour des durées variables. Les contraintes des corsets et des costumes ont été levées, permettant aux corps de respirer grâce aux « vêtements de reforme ». C’était aussi le lieu de la libération de la danse.
Dans leur perception, la nature représente l’art suprême. Ils chérissent le sol, préconisent l’autosuffisance et érigent des cabanes. Esprit et corps s’unissent. Ils réfléchissent, aiment, et dansent nus, suivant les directives de l’eurythmie, une danse secrète imaginée par Rudolf Steiner, le fondateur de l’anthroposophie, qui stipule que les corps doivent faire le plein de soleil.
La vision de Rudolf von Laban, le chorégraphe, intensifie cette idéologie. Avec les danseuses Isadora Duncan et Mary Wigman, sa disciple, they make Monte Verità the place for the liberation of dance. Sophie Taeuber, future épouse d’Hans Arp et peintre, les y rejoint pour participer aux sessions de cette « école des arts du mouvement ».
Les pointes et les tutus sont remplacés par « l’expression ». Sur une base de percussions, La Danse de la sorcière, créée par Mary Wigman en 1914, constitue une rupture totale avec la tradition classique : « C’est l’entité liée à la terre avec ses instincts bruts et sauvages, son désir de vivre insatiable, simultanément animal et femme », déclare l’ancienne gymnaste devenue hygiéniste.
Pionniers de la contre-culture
Monte Verità connaîtra plusieurs métamorphoses. En 1926, le baron Eduard von der Heydt, un banquier hédoniste, transforme le foyer des avant-gardes en centre de villégiature. L’utopie devient plus luxueuse sans toutefois perdre son essence ésotérique, cela principalement grâce à Olga Fröbe-Kapteyn qui s’y installe. Disciple de la philosophie et méditation indiennes, elle assemble une vaste collection d’images symboliques, qui devient le socle de pensée du cercle Eranos qu’elle crée, et qui inspirera le psychanalyste Carl Gustav Jung.
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