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9 juin 2024 19 h 06 min

« Intégration des fantômes du crack à Sao Paulo »

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Le soleil pointe doucement à l’horizon sur la plage la plus mélancolique du Brésil. Des sandales délaissées, des paréos froissés, des préservatifs déchirés éparpillés. Lors de ce petit matin d’avril, les rescapés de la nuit précédente gisent à même la terre, bras écartés, visage enfoui dans le sol. D’épuisés égarés posent leurs yeux sur le grand astre rouge émergeant parmi les gratte-ciels. De ça et là, des dizaines de marcheurs endormis vagabondent silencieusement, avec des pas incertains. Dans leur poing fermé, ils cachent une petite pierre dorée. Un trésor honteux, connu sous le sobriquet de « crack ».

Laissez de côté l’attrait d’Ipanema ou de Copacabana. Ici, aucune trace de mer ou de sable : juste du béton dur, suintant et ingrat. La « Cracolândia », c’est le nom donné à cette plage solitaire peuplée de marins en perdition, qui abrite l’une des plus grandes plateformes de consommation de drogue au monde, localisée en plein cœur de Sao Paulo. Certains la surnomment « Disneyland de la drogue », « paradis des drogués », « Far West » ou encore « Babylone du Brésil ». Pour d’autres, c’est une zone de guerre, voire « le nombril et le bout du monde », comme on l’entend souvent ici.

« Je suis le pire de tous ! », se vante fièrement Renato Oliveira Júnior, également connu sous le nom de « Renatinho ». À l’âge de 32 ans, ce jeune homme noir, frêle et vif, a construit une solide réputation de fêtard dans la « Craco ». Originaire du littoral de Sao Paulo, ancien voleur de portables et ex-consommateur de cocaïne maintenant accro au crack, il n’a pas hésité à vendre clandestinement le réfrigérateur de sa mère en échange d’une petite dose de drogue dure. Cependant, Renatinho est aussi un danseur professionnel. Son rythme de samba remporte un véritable succès parmi les fidèles du fluxo.

La dépendance immédiate est fortement ressentie parmi cet amas imprévu et sans cesse fluctuant de toxicomanes, rassemblés dans le minuscule passage de Rua dos Protestantes, situé dans le district de Santa Ifigênia, entre bâtiments en décrépitude et anciens entrepôts. Dans cet endroit où règnent miracles et malédictions, on rencontre des individus particuliers, tatoués de la tête aux pieds. On y trouve des individus de couleur noire en haillons, des blancs débraillés.

On y observe un homme avec un chapeau haut de forme qui promène son camion en plastique tenu par une laisse. Un autre traîne une valise de voyage, comme s’il partait soudainement vers un pays éloigné. Une vieille dame en fauteuil roulant croise un sosie de Kurt Cobain avec des lèvres embrassées de sang. Un homme étrange, dont le visage est recouvert par des sous-vêtements féminins, adresse un salut à un ancien champion de futsal. Une sorcière droguée aux airs d’exorciste effleure de frêles couples en jogging qui se tiennent par la main et des amoureux qui échangent des baisers passionnés. Presque personne ne sourit. Tout le monde fume, excepté les chiens.

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