Chaque jour, on trouve Nicole à la même cafétéria, assise à la même place, à la même table. Petite et légère, elle laisse à peine une trace sur le cuir brun du siège de La Vielleuse. A 84 ans, avec des cheveux blancs coupés courts et une sciatique dans la jambe gauche, Nicole choisit délibérément ce lieu afin que les gens sachent où la trouver. Devant elle, elle a une tasse de café dilué, un verre d’eau et une pile de journaux.
La Vielleuse, un bar à Belleville, dans le 20ème arrondissement de Paris, se trouve près d’un arrêt de métro où l’horloge affiche constamment midi ou minuit. Il est là depuis presque toujours, depuis 1790 pour être précis. Le bistrot a survécu aux vicissitudes de l’histoire du quartier populaire parisien, il est toujours situé à l’intersection de la rue de Belleville et du boulevard de la Villette. Un miroir craquelé avec le reflet d’un joueur de vielle reste suspendu au mur à gauche du bar, un rappel constant du passage du temps.
Nicole a du mal à remettre toutes ses pensées en ordre tout d’un coup. Pour la comprendre maintenant, il serait nécessaire de comprendre son passé, une tâche compliquée qui l’effraie de repenser tout ce temps écoulé.
Nicole a du mal à trouver un sommeil paisible ces derniers temps. L’affaire de la nouvelle imprimante est excessivement complexe, elle ne fonctionne pas de la même manière que l’ancienne. Puis, il y a ce problème de mémoire : comment minimiser une fenêtre sur l’ordinateur pour consulter un courrier électronique tout en visualisant les petites icônes du bureau ? De plus, il y a la question des taxes. Cette année, Nicole n’a reçu aucun courrier, à coup sûr, tout se fera en ligne, sans qu’elle ait été prévenue ou formée… « Vous ne le voyez pas, mais l’informatique me stresse, si je ne réussis pas, je suis perdue. Vous constatez comment je m’énerve pour un rien, n’est-ce pas ? »
Dans la maison de la vielleuse, entre chaque match de football ou bulletin d’info, un feu de cheminée brille à la télévision tandis que le chauffage du building a été arrêté. Immobile, de 14h à 19h, il fait froid, mais Nicole enlève tout de même son manteau pour ne pas être restreinte. Même avec ses trois petits pulls superposés – le premier est un col roulé vert, qui est sa couleur favorite, et le dernier est un noir orné de sequins discrets – Nicole a froid. « Tel est le vieillissement, quand tu as froid à l’intérieur, tu as froid. Je ne vais pas mourir d’un simple rhume. »
« Nicole se rend au café tous les jours, peu importe le climat, affirmant qu’elle ne veut pas risquer de mourir seule chez elle sans que personne ne le remarque. Sa position dans le café est stratégique: elle est assise dos à la rue, mais dans un coin bien éclairé, ce qui lui permet d’observer ceux qui entrent et sortent ou qui se promènent simplement dans l’espace central du bistrot. Parfois, sa jambe douloureuse est allongée sur la chaise en face d’elle. Nicole, une grande lectrice, rit quand on la prend pour une enseignante, certains lui demandent même de corriger des documents pour eux. Sa réponse rend son pull pailleté encore plus lumineux. Vous n’avez lu que 29.37% de cet article; le reste est réservé aux abonnés. »
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