Il n’y a pas de vignobles à perte de vue dans les champs de la Normandie du sud, située à la frontière de l’Orne, de la Manche et de la Mayenne, mais plutôt la présence constante d’un vigneron. Au sein de la salle de dégustation du producteur de cidre et pomologue Eric Bordelet, à ses bureaux ou dans sa cave, diverses images et même une fresque peinte directement sur une cuve témoignent du poids crucial qu’a eu sa rencontre avec Didier Dagueneau (1956-2008), druide charismatique et insurgé du vignoble de Pouilly-sur-Loire, au début des années 1990.
« Didier a été une source d’inspiration pour moi, il m’a ouvert la porte vers de nouvelles opportunités », souligne le Normand à la moustache gasconne qui, avant de se passionner pour le monde des pommes et des poires, était un grand amateur de vin. « Il a réussi à faire exceller une appellation simple, le pouilly-fumé, en se focalisant sur la mise en valeur du fruit, du terroir et du millésime tout en imprimant sa personnalité. Encouragé par lui, j’ai relevé le défi de faire de même pour les cidres et les poirés. » Après un parcours acharné, Bordelet est devenu un précurseur en matière de cidres et de poirés gastronomiques, aujourd’hui présents sur les cartes des vins de nombreux restaurants étoilés.
Élevé en Mayenne par des parents agriculteurs, Eric Bordelet, maintenant âgé de 61 ans, a débuté son parcours en étudiant à l’école hôtelière de Granville, dans la Manche. Après avoir migré vers Paris, il a eu l’opportunité de travailler dans des établissements renommés tels que Au trou gascon et Le Duc, avant d’avoir une révélation professionnelle à Arpège, dans le 7e arrondissement de Paris, auprès d’Alain Passard. À cause du manque de ressources financières pour embaucher un sommelier, le célèbre chef a proposé à Eric de le former dans ce métier. Embrassant cette proposition, Eric a rencontré son futur mentor Didier Dagueneau, ainsi que d’autres vignerons extraordinaires, comme Henri Jayer, Marcel Lapierre, Nady Foucault, qui lui ont transmis leurs convictions sur l’importance du respect du fruit et de la terre.
Plus tard, Bordelet a poursuivi des études en viticulture-œnologie à Beaune, en Côte-d’Or, mais c’est dans les vergers de sa Mayenne natale qu’il a mis en pratique ces théories, loin de la rudesse du traditionnel cidre fermier. Il se rappelle comment son père produisait chaque année une centaine de bouteilles destinées à être consommées rapidement. Bordelet, quant à lui, avait l’ambition d’élaborer des cuvées de garde. La rentabilité a demandé quinze ans de travail acharné, comme le confirme Eric Bordelet maintenant, tandis que son épouse, Céline, a consolidé les aspects administratifs et commerciaux de leur entreprise. Dans la commune de Charchigné, située à proximité de la ferme familiale en Mayenne, Bordelet a installé sa cidrerie dans les anciens annexes du château de Hauteville, au pied des ruines de ce bâtiment du XVIIIe siècle, détruit par un incendie en 1922.