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Refuge fragile ivoirien pour LGBT+

L’événement a été annoncé discrètement, avec une absence de publicité sur les plateformes de médias sociaux et aucune indication de son emplacement. L’institut Goethe d’Abidjan a accueilli environ cent participants les 24 et 25 mai 2024 pour la quatrième édition du festival Awawalé, dédié à l’avancement des droits et à l’augmentation de la visibilité des individus LGBT+. Les participants ont été informés de l’événement par le bouche à oreille, suite à des mesures de sécurité renforcées en raison des insultes et des menaces numériques reçues lors de l’édition précédente, provoquant une inquiétude chez l’équipe de l’ONG Gromo, organisatrice du festival.

Lors des discussions tenues pendant ces deux jours, l’unique situation de la Côte d’Ivoire par rapport à l’augmentation de l’homophobie dans la région a été soulevée à maintes reprises. Bien que l’homosexualité ne soit pas autorisée là-bas, elle n’est pas non plus punissable par la loi. Cela contraste avec le Sénégal où les « actes contre nature » avec une personne du même sexe sont interdits par le Code pénal, ou la Guinée qui inflige des peines de prison allant de six mois à trois ans pour « tout acte indécent ou contre nature commis avec une personne de son sexe ». En février 2024, le Ghana a adopté une loi pour renforcer la répression contre ceux qui s’identifient comme LGBT+, avec des peines de prison allant de trois à dix ans.

Selon Brice Stéphane Djédjé, un sociologue expert en questions LGBT +, l’État ivoirien reste impartial sur ces questions. Cette impartialité offre à la communauté queer une certaine acceptation, plus importante ici qu’ailleurs. Cette acceptation a conduit à des progrès significatifs. Des initiatives pour combattre le VIH/Sida ont été introduites, en commençant par les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) et ensuite élargies pour inclure les femmes transgenres. Selon les calculs du gouvernement ivoirien, le taux de prévalence du VIH chez les HSH est de 11,57%, tandis qu’il est de 22,6% chez les femmes transgenres, comparé à un taux de 2,39% dans la population en général (adultes de 15 à 49 ans).

Une légère acceptation

Depuis 2016, il existe des bureaux spécifiques de plaintes pour les victimes de violences basées sur le genre dans les commissariats et gendarmeries. Les grandes villes disposent également de centres d’accueil socio-médicaux qui visent principalement les travailleuses du sexe, les HSH et les personnes transgenres.

En addition à un réseau de 28 associations pro-LGBT +, référencées par le Conseil national des droits de l’Homme de Côte d’Ivoire (CNDH), il existe aussi quelques discothèques et bars queer et gay-friendly à Abidjan. Ces lieux permettent à la minorité sexuelle de socialiser hors des rencontres en ligne. Cette fragile acceptation attire un certain nombre de citoyens LGBT + de la région à chercher refuge en Côte d’Ivoire.

Michou, un créateur de mode âgé de 29 ans, s’est installé à Abidjan en début d’année 2024, après avoir vécu en Guinée, au Sénégal, au Mali et au Burkina Faso. Issu d’une famille homophobe, il a subi des violences et a été renié par son père à cause de son orientation sexuelle, ce qui l’a poussé à quitter le domicile familial à l’âge de 15 ans. « J’ai été victime d’agressions physiques à plusieurs reprises et sexuelles trois fois à Conakry. A Dakar, l’histoire s’est répétée. A Bamako, j’ai reçu un coup de couteau et j’avais peur de sortir en plein jour. À Ouagadougou, mes voisins m’ont expulsé du quartier après avoir découvert que je suis gay », raconte-t-il.

Pourtant, à Abidjan, Michou se sent plus sûr de lui, même s’il reste sur ses gardes. Il n’a pas encore subi d’agression dans cette ville. « Je suis libre de sortir maquillé et de faire la fête en portant des talons », affirme-t-il. Brice Stéphane Djedje, tout en atténuant l’image de tolérance d’Abidjan, confirme que la ville est un véritable creuset de la communauté queer en Afrique de l’Ouest. Cependant, la majorité de la population rejette toujours les personnes LGBT+. Les violences et les agressions sont courantes, surtout contre les femmes transgenres. Les harcèlement scolaire, les discriminations au logement et à l’emploi viennent s’ajouter au rejet familial. D’après un sondage réalisé en 2021 par l’ONG Gromo, environ 70% des personnes LGBT+ en Côte d’Ivoire seraient sans emploi, alors que seulement 3% de la population totale connaîtraient le même sort selon la Banque mondiale.

Dans un contexte où plusieurs nations africaines mènent des actions explicitement homophobes, souvent appuyées par des mouvements religieux, le sociologue Brice Stéphane Djédjé souligne l’importance cruciale de sauvegarder la Côte d’Ivoire. Il cite en particulier Family Watch International, un puissant groupe de pression chrétien américain, qui est contre l’homosexualité et l’avortement. Il indique que ce lobby, après avoir pris pied dans les pays anglophones d’Afrique, tente maintenant de gagner du terrain en Côte d’Ivoire. Son influence a été déterminante dans l’adoption de la loi anti-LGBT+ en Ouganda, selon Djédjé. En 2023, Kampala a adopté une des lois les plus sévères, institutionnalisant la réclusion à perpétuité, voire la peine capitale pour les actes qualifiés d’« homosexualité aggravée ».

Alors que se profile l’élection présidentielle de 2025, les militants ivoiriens craignent que leurs leaders politiques n’emboîtent le pas à ceux des pays voisins. Malgré certaines avancées, la communauté LGBT+ reste en marge et la législation peine à évoluer. En 2021, une tentative du Parlement ivoirien d’ajouter l’orientation sexuelle à la liste des critères de discrimination dans le nouveau Code pénal a échoué. Dans le cas inverse, la Côte d’Ivoire aurait rejoint l’Afrique du Sud dans la liste des nations africaines offrant une protection aux minorités sexuelles.

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