Il semble que j’étais une fillette qui vivait intensément et avait un langage de charretier. J’ai passé ma jeunesse dans un quartier de Paris près de Jussieu, qui était pour moi comme un petit village, avec ses commerces, son école, son parc. Ma famille était plutôt diverse : un père aventurier inspiré par les romans d’action d’Henry de Monfreid [1879-1974], une mère aux multiples talents, qui a étudié la biologie, s’est passionnée pour l’archéologie, puis pour la nourriture végétarienne dans une approche à la fois pratique et scientifique qui a abouti à un livre de recettes. Elle a même rejoint une école culinaire pour y enseigner l’hygiène alimentaire et l’analyse sensorielle. Je pensais que tout cela n’avait rien à voir avec moi – j’étais plutôt en train de me construire en opposition.
Plusieurs années plus tard, me retrouvant dans une formation en « hygiène alimentaire », j’y ai vu une ironie de la vie… A 14 ans, j’ai fait la connaissance de Marcelle, une vieille femme du quartier qui vivait seule dans son petit appart. Une organisation m’a suggéré de lui rendre visite régulièrement.
Son accueil m’a profondément touchée. Elle m’a introduite à une nouvelle forme de relation, prenant le temps d’écouter, tout en grignotant des biscuits secs accompagnés d’un verre de jus de fruits. Elle n’était pas gênée de sa solitude et m’a aidée à repenser la dynamique aidant-aidé. Marcelle m’a marquée pour toujours.
« C’était exactement le contraire de la soumission ».
Après avoir poursuivi mes études en économie et exploré le monde du journalisme, j’ai rencontré Nathanaël. Par la suite, nous avons choisi de vivre en République tchèque durant quelques années, avant de nous relocaliser à Lyon. À première vue, notre vie semblait idéale, mais notre couple s’est avéré être toxique. J’ai dû endurer douze ans de violences conjugales jusqu’à l’accident de voiture fatal de Nathanaël. Suite à ce tragique événement, je me suis retrouvée isolée et désespérée, seule avec nos trois enfants.
J’ai réalisé que malgré une bonne intégration sociale, je pouvais me sentir seule et isolée. Dans leur tentative d’apporter un peu de soutien, mes voisins ont cuisiné pour ma famille et moi. Ils nous ont préparé des plats simples et réconfortants, comme un délicieux flan aux asperges, que j’ai pu facilement partager avec mes enfants. C’est par ces repas que j’ai commencé à comprendre leur importance – ils nous nourrissent, renforcent notre autonomie et revitalisent nos esprits. L’exact opposé de la domination que je ressentais auparavant.
J’ai reconstruit ma vie autour des Petites Cantines, un projet que j’ai créé avec Etienne Thouvenot. C’est un lieu ouvert à tous, où chacun peut participer à la préparation des repas et les partager avec les autres dans un environnement convivial. Ce concept est unique parce qu’il propose une participation libre et qu’il offre un espace où on ne sait jamais qui nous rejoindra pour cuisiner, ou à côté de qui on se retrouvera. Cela peut amener à un sentiment de vulnérabilité, mais cela nous permet aussi de lâcher prise. Et c’est précisément ce que notre société moderne a tendance à ignorer.
En France, il y a quatorze Petites Cantines avec vingt-six autres en cours de préparation. Chaque cantine est unique, permettant à chaque individu d’apporter sa propre touche distinctive. L’objectif n’est pas de lutter contre la solitude, qui offre souvent un répit dans le chaos environnant, mais de combattre l’isolement en créant un sentiment d’appartenance. C’est le formidable pouvoir du repas partagé et de la confection des plats.
Le livre « Comme à la maison » de Diane Dupré la Tour, publié par Actes Sud à 144 pages et vendu à 16,50 €, met en exergue ce phénomène. Pour plus d’information, visitez le site lespetitescantines.org. Faites un acte de contribution en réutilisant le contenu.
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