Anthony Favier, un historien, et trois sociologues, Yannick Fer, Juliette Galonnier et Ana Perrin-Heredia, ont décidé ensemble de revisiter une question qu’ils estimaient négligée par les sciences sociales : l’impact qu’a encore la religion sur la classe sociale (et vice versa) ? Pour essayer d’élucider cette question, ils ont organisé un colloque qui a donné lieu à la publication du livre Religions et classes sociales (ENS Editions, 303 pages, 25 euros). Anthony Favier et Ana Perrin-Heredia ont discuté avec Le Monde des motivations derrière cette démarche et de leurs conclusions.
Pourquoi voulaient-ils examiner la corrélation entre l’appartenance religieuse et l’appartenance à une classe sociale ?
Anthony Favier : L’intersection entre religion et classe sociale a été un champ d’importance pour les précurseurs de la sociologie, mais a été délaissé avec le temps. Progressivement, la sociologie s’est subdivisée en différentes branches, et les sociologues spécialisés dans la religion et dans la classe sociale ont fini par travailler en vase clos, sans beaucoup d’interactions. Pourtant, sur le terrain, plusieurs d’entre nous observaient que la religion et la classe sociale demeuraient imbriquées.
Ana Perrin-Heredia : Par exemple, la sociologue Lorraine Bozouls, en menant ses enquêtes dans les quartiers aisés de la région parisienne, constatait régulièrement l’importance de l’appartenance à la paroisse catholique locale dans ses interviews. Elle démontre que l’engagement religieux à l’échelle locale renforce l’appartenance aux classes supérieures.
Dans ces districts, l’implication volontaire des femmes (fréquemment à mi-temps ou sans travail) dans les tâches de l’église (catéchèse, pastorale) accentue l’effet d’uniformité sociale du domicile et renforce les liens de connaissance mutuelle. Les connexions créées profitent ensuite à l’ensemble de la famille, y compris aux maris, dont la situation professionnelle se stabilise.
L’appartenance religieuse peut-elle promouvoir l’ascension sociale ou, au contraire, la condamner ?
A. F. : Ce qui est clair, c’est que la religion participe à la formation de groupes sociaux. L’anthropologue Maureen Burnot le prouve par exemple en Argentine, où la dévotion catholique pour le Gaucho Gil et San la Muerte – deux figures populaires souvent considérées comme des saints, mais non validées par l’Église – est dénigrée par l’élite locale et se révèle comme un indicateur puissant d’appartenance aux « pauvres ».
Cependant, la religion peut également modifier, voire éliminer, les frontières sociales dans certaines situations. Une enquête sur le mouvement musulman Gülen, originaire de Turquie, offre à la sociologue Gabrielle Angey l’opportunité d’étudier comment l’engagement religieux dans ce mouvement accompagne, pour certains musulmans d’origine humble, une importante mobilité sociale.
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