Dix minutes, cela peut sembler insuffisant, mais elle a trouvé cette durée convenable. Ce fut un moment sans agitation du cerveau, sans foule d’images qui s’agitent, sans bruit. Elle s’est décrite « comme une sirène ». Cependant, l’intrusion soudaine de l’eau sous son masque lui a donné une sensation d’effroi. Et à ce moment, elle a répété les gestes que son instructeur lui avait appris quelques instants plus tôt : « Je ne me sens pas bien, je veux monter ».
En remontant à la surface, elle a eu l’impression de retrouver quelque chose, une forme d’exultation. Elle nous confie : « Je ne suis pas un être aquatique, et pourtant cela m’a apporté une sensation inédite. » Elle n’a pas eu le courage de plonger dans le puits de la piscine La Baleine à Saint-Denis, qui est d’une profondeur de dix mètres, mais elle a descendu trois mètres, ce qui lui procure une fierté certaine. Dans la piscine, Oriane Filhol, 32 ans, a réussi à vider son esprit. Elle n’a eu que sa respiration en tête.
Depuis décembre 2023, sa vie quotidienne s’est contractée : elle a peur de se balader la nuit dans les rues, son écoute des autres est moins attentive, elle se sent parfois en dérive, elle ne fréquente plus les cours de rock car elle déteste les mains d’étrangers sur son dos. Lorsqu’elle est solitaire, elle repense parfois à la soirée du 20 décembre. L’adjointe de Mathieu Hanotin, le maire socialiste de Saint-Denis, n’a rien oublié de cet événement. C’était un mercredi, il ne faisait pas spécialement froid. Elle a quitté le bâtiment de Plaine Commune Habitat à 20h46. La réunion du conseil d’administration de l’organisation sociale a duré deux heures et demie sans incident particulier.
Elle porte encore les marques profondes de cet événement.
Tout avait commencé à l’extérieur. Elle avait repéré un premier jeune vêtu d’un sweat à capuche et d’un masque chirurgical, qu’elle avait trouvé quelque peu inhabituel. Un deuxième homme, également masqué et capuchonné, se tenait non loin de la mairie. Craignant qu’ils cherchent à lui voler son téléphone, elle avait décidé de traverser la rue, s’était arrêtée devant un KFC puis avait fait demi-tour, mais les deux individus ne l’avaient pas laissé tranquille. Elle ne sait toujours pas pourquoi elle n’a pas tenté d’appeler quelqu’un ou d’alerter un passant, alors qu’il y avait encore du monde dans la rue. Elle avait accéléré le pas jusqu’à l’immeuble où réside son collègue, Corentin Duprey, conseiller municipal et vice-président du conseil départemental. Heureusement, elle se souvenait du code d’accès.
Elle avait fermé la porte derrière elle avec force, espérant que cela suffirait. « J’ai pensé que j’étais en sécurité », se remémore-t-elle. Cependant, les deux hommes étaient parvenus, on ne sait par quel moyen, à pénétrer dans la cour de l’immeuble. « J’ai couru pour me mettre à l’abri, mais l’un d’eux m’a fauchée. Je suis tombée sur la fesse gauche et je me suis recroquevillée. »
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