Eugénie Mérieau, conférencière principale en droit public à l’Université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, réalise des études comparatives de droit constitutionnel pour le CNRS, entre les régimes d’Asie peu libéraux et leurs homologues plus libéraux en Europe et aux Etats-Unis. Elle a travaillé en tant que chercheuse et enseignante dans plusieurs pays, dont Singapour (2020-2021), la Thaïlande (2015-2017), l’Allemagne et les Etats-Unis. Mérieau est l’auteure de « La Dictature, une antithèse de la démocratie? 20 idées reçues sur les régimes autoritaires », qui a été réimprimé en février (Cavalier bleu, 240 pages, 13 euros).
Le 15 mai a marqué un changement de gouvernance à Singapour, avec l’arrivée d’un nouveau Premier ministre, Lawrence Wong, qui succède à Lee Hsien Loong, le fils du fondateur de l’Etat souverain. Wong a été nommé par le PAP (Parti d’action du peuple) qui est au pouvoir depuis 1965. Cela pourrait-il signifier le début d’une nouvelle ère?
Il est peu probable que le PAP (People’s Action Party) arrive à sa fin. Ce parti politique extrêmement efficient a les ressources nécessaires pour créer de nouvelles vagues de dirigeants politiques, à l’image de Wong, lui-même issue de la quatrième génération. Cela ne signifie pas non plus la fin de la domination politique de la famille Lee au Singapour. Rien n’empêche Li Hongyi, le fils aîné de l’ancien Premier ministre Lee Hsien Loong, et actuellement très populaire, d’être le futur leader. Agé de 37 ans, diplômé du MIT et occupant un poste de haut responsable au sein de l’administration publique singapourienne en charge de la numérisation, on pourrais imaginer que le poste lui est promis. Quand la presse l’interroge sur l’éventualité pour son fils de reprendre les rênes, Lee Hsien Loong dément, mais il n’oublie pas de rappeler qu’il tenait le même discours à son âge. Cela montre l’influence que continue d’avoir la famille Lee à Singapour, pays où le phénomène des dynasties politiques est courant en Asie du Sud-Est.
Les élections parlementaires devraient se dérouler avant la fin de 2025, dans un contexte où le PAP continue de détenir une forte influence sur le pouvoir. Qu’est-ce qui justifie cette influence ?
La légitimité du PAP est enracinée dans la grande saga économique de Singapour, qui, depuis son indépendance en 1965, est passée de « pays du tiers-monde » à l’un des États les plus riches du monde. En termes de PIB par habitant, elle surpasse toutes les puissances occidentales. Les mémoires du leader fondateur, Lee Kuan Yew, sont significatives de ce parcours: « From Third World to First. The Singapore Story : 1965-2000 » (« du troisième au premier monde, l’histoire de Singapour », Harper, 2000, non traduit).
La deuxième histoire, très influente, tourne autour de la sécurité. La population de Singapour est multiraciale (avec 75% de Chinois, ainsi que des Malais, Indiens et autres) et multiconfessionnelle (comprenant des bouddhistes, chrétiens, musulmans et hindous). En 1964, des émeutes raciales dirigées contre la majorité chinoise de Singapour ont laissé présager d’une société ravagée par la violence, tandis que Singapour faisait encore partie de la Malaisie. Cependant, depuis son indépendance en 1965, Singapour a été largement exempte de violence, contrairement à la Malaisie et à l’Indonésie. Singapour a également été préservée du terrorisme islamique, un phénomène auquel la plupart des pays d’Asie du Sud-Est ont été confrontés et qui y a parfois pris racine. Ces récits principaux du PAP ne sont pas centrés sur une idéologie, mais sont basés sur des résultats avérés.
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