Le jeudi 16 mai, le dictat de la Haute Cour pénale d’Ankara a été proclamé devant une vaste salle d’audience qui avait été soudainement vidée. Plus de cent avocats, représentant les 108 inculpés dans l’affaire communément appelée « procès de Kobané », du nom de cette ville frontalière syro-kurde, avaient pris la décision de se lever et quitter le tribunal en guise de protestation contre des charges qu’ils percevaient comme étant « purement politiques », « arbitraires » et « dépourvues de fondements juridiques et légaux ». Les défenseurs ont rejoint les familles des accusés et les délégations d’élus de l’opposition pour critiquer l’acharnement judiciaire du pouvoir et son utilisation abusive du droit.
Sur une durée d’environ une heure, les verdicts et les peines de prison ont été prononcés un par un et presque de manière automatique devant des rangées de chaises vides. Ahmet Türk, le maire kurde de Mardin, a été condamné à dix ans de prison pour « appartenance à une organisation terroriste armée ». Figen Yüksekdag, l’ancienne co-présidente du parti de gauche pro-kurde HDP (maintenant renommé DEM), a été condamnée à trente ans et quatre mois d’emprisonnement. Gültan Kisanak, l’ex-maire de Diyarbakir, a été condamnée à douze ans de prison, mais pourra être libérée compte tenu du temps de détention déjà effectué avant le verdict, tout en étant interdite de sortir du pays. Selahattin Demirtas, ex-président du parti de gauche pro-kurde HDP (aujourd’hui renommé DEM) et ancien candidat à la présidence, a été condamné à une peine de prison de quarante-deux ans non réductible pour 47 chefs d’accusation, dont l’atteinte à l’unité de l’Etat. La liste continue.
C’est la conclusion d’un procès de près de quatre ans avec 83 séances d’audience. L’affaire a attiré l’attention en raison des personnalités politiques parmi les accusés, de leur nombre et de la gravité des événements liés aux accusations, ainsi que du contexte actuel de leur jugement.
Jugement historique
Ces 108 individus, pris dans ce procès marquant et confrontés à de lourdes peines, ont été jugés pour des manifestations de soutien à Kobané en 2014. À ce moment-là, cette petite localité était assiégée par les djihadistes du groupe État islamique (EI) pendant un mois. L’armée turque empêchait pendant ce temps les Kurdes de Turquie d’apporter leur aide à leurs compatriotes de l’autre côté de la frontière. Plusieurs dirigeants locaux, dont Selahattin Demirtas, avaient alors appelé à manifester contre cette situation.
Le 20 juillet 2015, une explosion a tué 34 militants pro-kurdes de gauche et blessé 104 autres lors d’un rassemblement à Suruç, ville jumelée avec Kobané, située sur le sol turc. Ankara a attribué l’attentat à l’EI ; les Kurdes ont quant à eux désigné le gouvernement d’Erdogan comme responsable. Deux policiers turcs ont ensuite été tués à Ceylanpinar, près de la frontière syrienne : le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a revendiqué le meurtre, avant de se rétracter. S’ensuivirent alors des attaques kurdes et des opérations turques, marquant le retour de la guerre sur le sol turc.
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