Un homme dissimulant ses pleurs s’éloigne tout en trainant une petite valise à roulettes sur laquelle une couverture est attachée. Gai Lel Ngungdeng, un diplomate travaillant à l’ambassade du Soudan du Sud à Rome, s’est retrouvé sans abri après avoir été expulsé de son appartement pour six mois de loyer impayé. Depuis le lundi 6 mai, il dort sur les trottoirs de la capitale italienne aux côtés de réfugiés, un fait qui a été relayé au travers d’un message viral sur WhatsApp.
Son pays a réagi de manière mitigée à cette situation, tandis que certains internautes l’accusaient d’avoir publiquement exprimé son désespoir pour attirer la sympathie. Cependant, cette situation montre à quel point la crise économique que traverse le Soudan du Sud est préoccupante. C’est si préoccupant que l’État doit six mois de salaire à ses fonctionnaires, y compris aux diplomates. La situation est encore plus inquiétante alors que l’inflation grimpe en flèche. Les prix du pain et du carburant ont plus que doublé, une augmentation accélérée par la dégringolade de la valeur de la livre sud-soudanaise face au dollar, qui a été divisée par trois sur le marché noir depuis janvier.
L’économie du Soudan du Sud a été gravement touchée par des années de conflits et de sous-développement, avec une guerre civile destructrice qui a secoué cette jeune nation de 2013 à 2018. Pourtant, c’est une crise différente, importée de son voisin, le Soudan, qui a plongé les finances du pays dans un gouffre profond. Les généraux Abdel Fattah Al-Bourhane et Mohammed Hamdan Daglo se livrant une guerre depuis avril 2023, ont entraîné la paralysie d’un des oléoducs essentiels au transport du brut sud-soudanais. Ce pétrole, transporté par pipeline depuis les champs pétroliers du sud jusqu’à Port-Soudan en passant par la mer Rouge, représente 90 % des revenus de Juba.
Pour le gouvernement, l’arrêt de cet oléoduc signifie une perte quotidienne de revenus de 4 millions de dollars (3,7 millions d’euros). Et pour les Soudanais du Sud, dont presque tous les biens de consommation sont importés, cela signifie une hausse massive du coût de la vie.
« La majorité des familles ont dû se contenter d’un seul repas par jour », rapporte Edmund Yakani, directeur de l’organisation de la société civile, Community Empowerment for Progress Organization (CEPO). « Les enfants sont renvoyés de l’école par manque de moyen financier. On note également une augmentation de la mortalité due au manque d’argent pour les soins médicaux. » Selon les estimations de CEPO, « entre cinq et dix jeunes diplômés sud-soudanais fuient chaque mois le Soudan du Sud pour tenter de joindre l’Afrique de l’Ouest par voie terrestre en essayant d’éviter la Libye, dans l’espoir de rejoindre l’Europe. »
La tentative de stabilisation monétaire de la banque centrale n’a jusqu’ici pas porté ses fruits, pendant que le gouvernement se démène pour obtenir des prêts afin de couvrir la baisse des recettes pétrolières. Bak Barnaba Chol, l’ancien ministre des finances, lors de la COP28, avait négocié un prêt de 12,9 milliards de dollars avec Hamad Bin Khalifa Department of Projects (HBK DOP), une société située à Dubaï, en décembre dernier. L’information a été révélée par Bloomberg fin avril. Selon un document qui a circulé sur internet le 28 décembre 2023, ce prêt aurait été garanti par des livraisons de pétrole sud-soudanais jusqu’en 2043, ce qui a déclenché une vague de colère parmi les internautes.
La mauvaise gestion des finances publiques par le gouvernement suscite des critiques virulentes. Selon une source diplomatique, « la majeure partie des recettes pétrolières a été allouée à des projets de construction de routes au cours des dernières années, s’élevant à environ 6 milliards de dollars. Cependant, ces projets n’ont pas été attribués de manière compétitive et il n’y a aucune information claire sur comment l’argent a été utilisé ».
Face à une confiance déclinante, les principaux donateurs internationaux, y compris les États-Unis, le Royaume-Uni et la Norvège, qui ont soutenu la création du pays, n’ont pas l’intention de secourir le gouvernement du Sud-Soudan. Ceci est en partie dû à la réduction de leurs budgets d’aide humanitaire, le Royaume-Uni ayant par exemple réduit son aide au Soudan du Sud de plus de 50% entre 2020 et 2022, passant de 156 à 76 millions de Livres. Tandis que l’aggravation de la crise humanitaire laisse 7,1 millions des 12 millions de citoyens en situation d’insécurité alimentaire sévère selon les données de l’ONU, seuls 10,7% des besoins financiers pour 2024, estimés à 1,79 milliard de dollars, ont été assumés.
Des doutes persistent quant à la capacité du gouvernement d’unité nationale et de transition, formé en accord avec le traité de paix de 2018, à organiser des élections alors que le trésor de Juba se vide progressivement et que les travaux de réparation de l’oléoduc pourraient s’étendre jusqu’à la fin d’août. Ces élections, prévues pour la fin de 2024, seraient les premières dans l’histoire du pays ; l’actuel président, Salva Kiir, ayant été élu en 2010, avant que le Soudan du Sud ne devienne un pays indépendant.
Le gouvernement a été en mesure de fournir 15 millions de dollars à la Commission électorale nationale pour des actions préélectorales en avril, une petite partie des 250 millions de dollars nécessaires. Toutefois, le manque de fonds consacrés au processus de paix et les retards dans l’implémentation d’initiatives essentielles telles que l’unification des forces armées opposées et gouvernementales, ainsi que la mise en place d’une Constitution permanente en remplacement de la Constitution provisoire de 2011, pourraient entrainer un nouveau report.
Il existe actuellement un « dialogue interparties », principalement entre Riek Machar, le premier vice-président et chef du plus grand groupe de l’opposition, et le camp du président Salva Kiir, afin de déterminer si les élections seront maintenues ou reportées. Néanmoins, Daniel Akech, un analyste du conflit de l’International Crisis Group, suggère que la crise financière pourrait compromettre l’accord de paix, puisqu’il est principalement fondé sur les revenus pétroliers. Ainsi, la diminution de cette source de revenus pourrait déstabiliser le système, ce qui suscite des interrogations quant à la façon de maintenir l’équilibre.
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