La trajectoire de l’un a été tracée dans l’ombre de l’autre, en espérant qu’à la fin du parcours, il recevrait le flambeau de son mentor politique. Cependant, l’histoire entre l’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, et Charles Blé Goudé, son ex-ministre de la jeunesse et codétenu à la Cour pénale internationale (CPI) pendant cinq ans, ressemble désormais à une route où le patriarche et son successeur présomptif ne peuvent plus se rencontrer. Deux chemins parallèles mènent à une succession impossible entre un homme qui approche de ses 79 ans et ne souhaite pas se retirer de la scène, et un autre âgé de 52 ans, impatient d’occuper toute la place que son aîné lui refuse.
Les événements récents en Côte d’Ivoire viennent renforcer cette impression. À seulement seize mois de l’élection présidentielle, ces deux personnalités ont réaffirmé leurs ambitions. D’abord, c’était Laurent Gbagbo qui, le vendredi 10 mai à Abidjan, a été nommé sans surprise candidat du Parti des Peuples Africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), le parti qu’il a fondé lors de son retour en 2021. Deux jours plus tard, son ancien « général de la jeunesse » faisait son entrée en politique à Yamoussoukro, promettant aux militants du Congrès Panafricain pour la Justice et l’Égalité des Peuples (Cojep) que « 2025 ne se fera pas sans [eux] », sans toutefois annoncer sa candidature à l’élection à venir.
Laurent Gbagbo, lors d’une réunion avec des milliers de fidèles vêtus de bleu et blanc à l’hôtel Ivoire à Abidjan, n’a montré aucune hésitation quant à ses ambitions politiques qu’il avait déjà exprimées. « Chers amis, je suis prêt encore une fois à être votre candidat et à mener ce combat », a-t-il déclaré. Il a également promis qu’avec un seul mandat, « tout sera réglé », de l’économie à la réconciliation nationale.
Charles Blé Goudé, dont les Jeunes Patriotes étaient pendant dix ans les militants les plus actifs du régime Gbagbo, a lui aussi choisi comme thème principal le pardon. « En tant que votre leader, je vous invite à emprunter la voie du pardon. Parce que vous avez enduré des épreuves, votre pardon a une grande valeur », a-t-il plaidé devant ses partisans réunis à la Fondation Félix-Houphouët-Boigny en vue de promouvoir la paix.
Concernant ses ambitions pour 2025, il a affirmé être « prêt psychologiquement, intellectuellement et physiquement pour diriger la Côte d’Ivoire », mais il a évité de formaliser sa candidature. Il a préféré adopter une attitude d’humilité à l’égard de ses aînés, qu’il aspire à succéder.
Enfin, presque tous les partis politiques ivoiriens étaient présents à Yamoussoukro, sauf celui de Laurent Gbagbo. Charles Blé Goudé a affirmé que « Nous avons invité tout le monde. Ceux qui sont venus sont venus, et nous ne tenons rigueur à ceux qui ne sont pas venus ».
Lors d’un rassemblement à Agboville le 6 avril, Laurent Gbagbo a critiqué son ancien ministre, l’accusant d’exagérer son rôle pendant leur temps en prison ensemble. « Il y a quelqu’un qui prétend qu’il a été mon cuisinier, » a déclaré ironiquement Gbagbo, « mais il ne vous dit pas d’où venait l’argent pour les repas! C’était Nady [Bamba, la femme de Laurent Gbagbo] qui fournissait l’argent pour notre nourriture. » Cette controverse a été rapidement surnommée « l’affaire de la popote de La Haye », mais Charles Blé Goudé l’a dédaignée avec une simple déclaration : Laurent Gbagbo est « le père » et « il a le droit de me critiquer publiquement, mais moi non, » s’est-il souvenu.
Leurs chemins se sont séparés de manière significative, mais une convergence persiste dans leur destinée. Alors que la prochaine candidature du président en exercice, Alassane Ouattara, se profile, Gbagbo et Goudé restent inéligibles pour la fonction publique en raison de leur condamnation par la justice ivoirienne en 2018 et 2019 à des peines de vingt ans de prison pour des crimes liés à la crise post-électorale de 2010-2011, malgré leur acquittement par la CPI en 2021.
Charles Blé Goudé, contrairement à l’ex-président, n’a bénéficié d’aucune grâce présidentielle et ses avoirs bancaires restent figés. L’aspiration commune de ces deux hommes est de rejoindre la liste électorale, une amnistie que Laurent Gbagbo, face à l’urgence de l’âge, cherche avidement à obtenir. La demande du PPA-CI aux partisans et aux « démocrates assoiffés de justice » de se mobiliser et d’employer tous les moyens légaux pour réinscrire le nom de Laurent Gbagbo sur la liste électorale a été faite le samedi.
Laurent Gbagbo, selon l’un de ses alliés, «se bat non pas pour être élu, mais pour redorer son honneur». Charles Blé Goudé, en revanche, veut prendre son temps. Sa déclaration, « Je ne précipite pas les choses et je m’organise soigneusement pour gagner et non pour simplement faire une annonce », montre clairement son intention. Il n’a pas participé aux élections locales de septembre 2023 et est en train de structurer son parti, le Cojep.
Il soutient que sa condamnation politique requiert une solution politique et n’oublie pas son dialogue avec le pouvoir. Il s’est engagé à ne pas déstabiliser la Côte d’Ivoire pour sa candidature et à négocier la réinscription de son nom sur la liste électorale. Charles Blé Goudé cherche actuellement à se défaire de son image de meneur de foule pour devenir un homme politique respectable et potential présidentiable, avec ou sans le soutien de Laurent Gbagbo.
Laisser un commentaire