Deux gravures évoquent à leur façon comment le changement des espaces politiques est souvent un reflet des valeurs bouleversées. Sur l’une, Louis XVI est assis sous un baldaquin rouge et or imposant, avec une assemblée de députés séparés en trois groupes précis – le tiers état en uniforme noir devant le roi, la noblesse ornée à sa gauche, et le clergé en vêtements rouges ou violets à sa droite. Sur l’autre, il n’y a plus de trône luxueux, les gradins sont remplis de députés qui ont maintenant la liberté de s’asseoir où ils le souhaitent et un homme est vu s’exprimant librement au pied des tribunes.
La première image, créée par Isidore-Stanislas Helman (1743-1809), dépeint la toute dernière cérémonie officielle de l’Ancien Régime : l’inauguration des États généraux, le 5 mai 1789, dans la salle des Menus-Plaisirs, à Versailles, marquant clairement la suprématie royale et l’ordre social dans l’aménagement de l’espace. La seconde image, signée par Louis-Joseph Masquelier (1741-1811), illustre la salle du Manège, le lieu de rassemblement des députés de 1789 à 1793, trois ans plus tard, ressuscitant l’enthousiasme et la liberté révolutionnaires à travers le tumulte des gradins et l’intensité des discours. Entre ces deux moments, entre ces deux salles, les privilèges ont été supprimés et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a été adoptée.
Depuis la fin du 18ème siècle, en France et dans la plupart des pays européens, les lieux de création de la loi par les élus se caractérisent par une profusion de symboles. Les architectes qui conçoivent ces espaces de délibération parlementaire ne visent pas uniquement l’esthétique et la praticité, mais cherchent également à intégrer des « valeurs morales », comme le souligne Jean-Philippe Heurtin, professeur de sciences politiques à l’Institut des Hautes Études Politiques de Strasbourg. Olivier Rozenberg, un autre politologue, remarque par exemple que le siège du président à l’Assemblée nationale est placé à la même hauteur que le plus haut niveau de l’hémicycle, pour symboliser l’égalité entre tous les élus.
Cette quête d’incarner des principes moraux dans le bâti se poursuit aujourd’hui. L’exemple du Parlement européen à Strasbourg illustre ce point: sa grande façade de verre de 13 000 mètres carrés rappelle le principe de transparence, tandis que l’aspect non fini de la tour en verre et grès symbolise le projet européen, qui est en constante évolution. Les architectes ont également intégré un arc, un dôme et une tour dans leur conception, des éléments censés représenter les systèmes de relations « ouverts » et « vivants » propres à la démocratie. Comme Victor Hugo l’a écrit en 1874 dans Quatrevingt-treize, « chaque idée a besoin d’une enveloppe visible, chaque principe d’une demeure ».
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