La dernière correspondance par SMS que nous avons eue avec Renaud Van Ruymbeke remonte à fin janvier 2021. Il avait été sollicité pour participer à un documentaire pour France 2, intitulé « L’affaire qui a fait exploser la droite ». Ce documentaire devait notamment traiter de l’affaire Bygmalion, qu’il avait préparée lui-même. Cependant, à la dernière minute, il s’est rétracté. Dans un premier temps, il nous a écrit : « Je me sens toujours mal à l’aise lorsque je suis confronté à des affaires dont je ne peux parler ». Plus tard, il a ajouté : « Après réflexion, étant donné le contexte du documentaire et les procédures en cours, je ne peux et ne souhaite pas apparaître dans ce documentaire. »
Renaud Van Ruymbeke, qui est décédé à l’âge de 71 ans, a toujours été un homme affable et réfléchi, souvent déchiré entre son devoir de réserve en tant que magistrat et son désir de partager sa passion pour la justice. Sa mort, annoncée par la chancellerie le vendredi 10 mai, a suscité une grande émotion parmi ses pairs. Cet homme mince, au regard espiègle derrière de fines lunettes et sa moustache distinctive, était devenu une icône au fil des décennies de ses enquêtes spectaculaires.
Il a été le parfait exemple du juge d’instruction courageux dont les enquêtes font trembler les puissants. Même Eric Dupond-Moretti, connu pour son aversion à l’égard des juges, a rendu hommage à Renaud Van Ruymbeke. « La France perd un grand magistrat et la justice un serviteur exceptionnel. Mes condoléances les plus sincères à sa famille et à ses proches », a écrit le ministre de la Justice sur X.
Renaud Van Ruymbeke, né en 1952 à Neuilly-sur-Seine, a toujours été passionné par le droit. Immédiatement après sa diplômation de l’École nationale de la magistrature en 1977, il a opté pour se consacrer aux dossiers financiers et économiques. Ses premiers pas en tant que juge ont été faits au Tribunal de Caen. En 1979, alors qu’il n’avait que 27 ans, il a reçu un dossier qui a eu un impact significatif sur sa carrière. Il s’agissait de l’affaire impliquant Robert Boulin, le ministre du travail sous le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing, accusé dans une affaire d’achat douteux d’un terrain à Ramatuelle.
L’implication de Robert Boulin, un candidat potentiel pour le poste de Premier ministre, a déclenché un grand scandale, marquant ainsi l’émergence des enquêtes politico-financières. Ces affaires étaient généralement dirigées par un nombre restreint de magistrats audacieux dans un contexte où la justice était souvent sous le contrôle du gouvernement.
Avec cette affaire, Van Ruymbeke est devenu le symbole et la personification des « juges rouges », bien que ce surnom soit mal approprié. Malgré l’attrait de la médiatisation, le « VR », surnom donné par ses pairs, a vite déchanté. Le 30 octobre 1979, le corps sans vie du ministre du travail a été trouvé dans un étang de la forêt de Rambouillet (Yvelines). Avant sa mort, Robert Boulin a écrit une lettre dénonçant ‘un juge ambitieux, haineux de la société et considérant a priori un ministre comme un prévaricateur’.