À l’approche des élections européennes, plusieurs livres viennent élargir le débat.
– Le livre de Karl Schlögel, « L’avenir se joue à Kyiv », décrit l’Europe redécouverte.
– Un entretien avec Heinz Wismann qui déclare que « l’Europe est un geste, pas un gène ».
– « L’Europe selon Aron » expose Raymond Aron, patriote Français et « grincheux » européen.
– Et bien sûr, d’autres publications européennes.
« L’Europe selon Aron » est une anthologie de Joël Mouric, publiée dans la « Bibliothèque Raymond Aron » par Calmann-Lévy, 316 pages pour un prix de 24,50 € ou 17 € en numérique.
Raymond Aron a toujours rêvé de l’Europe, sans vraiment y croire. Depuis son premier article, écrit en 1926, jusqu’à ses dernières apparitions publiques en 1983, il a toujours été préoccupé par la question européenne. Pourtant, comme le montre « L’Europe selon Aron », une collection de textes éditée par Joël Mouric avec une rigueur et une lucidité impressionnantes, le sociologue n’a jamais cessé de douter des projets d’unification politique de l’Europe.
Bien sûr, Aron n’hésitait pas à utiliser le « nous » lorsqu’il parlait des Européens, dédiant de nombreux textes à l’héritage spirituel, légal et culturel qui les unissait dans une même destinée. De plus, l’ancien résistant a dépeint précisément et vécu péniblement le « suicide collectif » du continent lors de la Seconde Guerre mondiale, suivi du déclassement inévitable qui s’en est suivi.
En parcourant ce livre magnifique, on peut déduire qu’a son avis, le concept d’unité supranationale soutenu par les « Européens traditionnels » comme Jean Monnet ou Robert Schuman est émouvant, étant donné que son aspect abstrait symbolise un affaiblissement général. Comme il l’a sarcastiquement déclaré en 1947, « L’idée des États-Unis d’Europe ou de la fédération occidentale ne ressemble-t-elle pas aux rêves d’un prisonnier qui aspire à la liberté, ou à l’espoir de puissance des faibles pour compenser leur détresse? »
Ceux qui sont familiers avec les écrits d’Aron savent qu’il ne serait jamais un théoricien impassible. Il est donc logique que pour lui, la détresse de l’Europe est avant tout une détresse émotionnelle. Europe? Christianisme? Libéralisme? Socialisme? « Le vrai enjeu est de déterminer quels sentiments authentiques se cachent derrière ces termes anciens », a-t-il soutenu lors d’une conférence devant des étudiants allemands en 1948. Par conséquent, il ne cessera de souligner que la promesse européenne restera vide tant qu’elle ne suscitera aucune passion. « L’Europe qui n’existe pas, l’Europe unie politiquement, je crains qu’elle ne soit plus une force motrice ; ni l’enthousiasme ni l’hostilité ne sont plus provoqués – une malchance politique pire encore pour un projet qui a besoin autant d’opposants que de supporters « , a-t-il remarqué en 1975.
La force délicate de cette communauté inaccessible.
Aron en est sûr : le mouvement européen rencontre d’autant plus de difficultés à gagner du soutien qu’il délaisse l’État-nation, cette entité solide qui a attribué à notre Ancien Continent sa destinée unique. L’Europe se distingue par un mouvement constant entre une nostalgie supranationale et la force du sentiment national, une compréhension partagée et la fierté de ses spécificités. Surpasser cette tension tout en la gardant vivante, ces deux actions sont inséparables. Mieux encore : ils offrent à cette improbable communauté une force vulnérable.
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