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Répression accrue sur migrants subsahariens tunisiens

Dans les heures sombres de la matinée, précisément à 2 heures du matin, le vendredi 3 mai, la police est arrivée au camp de réfugiés situé devant le bureau principal de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) situé dans le quartier des Berges du Lac à Tunis. Simon, un réfugié camerounais de 21 ans qui a choisi de garder son identité secrète, se rappelle de ce moment. Tous les occupants dormaient paisiblement lorsqu’ils ont dû soudainement se disperser pour échapper à la police. Simon a réussi à échapper à l’arrestation, cependant, il souligne qu’il n’y a toujours pas de nouvelles de certains qui n’ont pas eu cette chance et qui ont été arrêtés.

La majorité de ces migrants étaient des centaines venant surtout de pays de l’Afrique de l’Ouest. Ils vivaient dans l’espoir d’obtenir l’aide de l’OIM pour un retour volontaire dans leur pays natal. Simon, qui a soumis une demande pour retourner au Cameroun en décembre 2023, ne comprend pas cette action de la police car, selon lui, ils étaient pacifiques et n’avaient causé aucun tort.

Un peu plus loin, au bout de la rue, restent des centaines d’autres migrants, y compris des enfants et des femmes, principalement du Soudan et d’autres pays d’Afrique de l’Est ravagés par la guerre. Ils avaient établi leur abri dans les allées d’un parc public, en attente de protection internationale.

En parallèle, d’autres campements ont été aussi perturbés. Certains avaient dressé leurs tentes non loin de là, juste en face du bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. D’autres, qui s’étaient installés dans la Maison des Jeunes depuis la fermeture du camp de Choucha en 2017, ont également été déplacés dans la banlieue de La Marsa.

Dans son ensemble, près de 80 ordres de détention ont été délivrés contre des individus aprehendés durant le week-end. Plusieurs centaines d’entre eux ont été évincés vers les limites du pays, d’après divers ONG. Une telle expulsion de grand envergure et coordonnée est la conséquence d’interventions analogues qui ont eu lieu précédemment dans la région de Sfax, la semaine dernière.

Le 6 mai dernier, pendant une session du conseil de sécurité, le président Kaïs Saïed a admis pour la première fois l’existence d’expulsions de masse par les autorités tunisiennes, soulignant que « 400 individus » ont été deportés vers « la bordure orientale », en « coordination continue » avec les nations limitrophes.

« On assiste à une répression de grande envergure envers les immigrants noirs qui continuent d’endurer des violations systématiques de leurs droits », déclare Salsabil Chellali, responsable du bureau de Human Rights Watch à Tunis. Elle ajoute qu’en général, les arrestations et les expulsions réalisées par les autorités se font « sans aucune estimation individuelle du statut » des exilés, « en dehors de tout état de droit et cadre juridique », simplement parce que « ces personnes sont reconnues comme noires et originaires de pays africains ».

« Foules d’immigrants illégaux »
Après le discours du président Kaïs Saïed en Février 2023, durant lequel il a qualifié les « foules d’immigrants illégaux » comme une partie d’un complot visant à changer l’identité arabo-islamique du pays, les autorités tunisiennes ont opéré un revirement sécuritaire dans le traitement des immigrants africains subsahariens.

La lutte contre les organisations de la société civile a intensifié dernièrement. Saadia Mosbah, la dirigeante de Mnemty qui est une association axée sur la lutte contre le racisme, a été détenue le lundi 6 mai semblant avoir violé la loi antiterroriste et la loi contre le blanchiment d’argent, et a après été placée en garde à vue. En tant que militante tunisienne de la cause noire et figure importante dans la lutte contre le racisme en Tunisie, Mme Mosbah avait émis de fortes critiques à l’égard des politiques anti-migrants du président Kaïs Saïed pendant plus d’un an. Un autre affilié de l’association a été interrogé dans le cadre de l’investigation mais a été relâché. Leurs bureaux ont fait l’objet de fouilles.

L’organisation Terre d’asile Tunisie (TAT), affiliée à l’organisation française France Terre d’asile, a également reçu la visite des officiers de police dans ses bureaux situés à Tunis et à Sfax. Son ex-dirigeante, Sherifa Riahi, a été interrogée puis placée en garde à vue en se fondant sur la même loi appliquée à Mme Mosbah, selon une source anonyme qui s’est confiée au Monde. Quatre individus ont été questionnés, « mais cela n’a mené à aucune arrestation ».

Le président et le vice-président du Conseil tunisien des réfugiés (CTR) ont également été arrêtés, mis en détention préventive à la suite de leur garde à vue. Ils sont accusés d' »association de brigands dans le dessein d’assister des individus à entrer sur le territoire tunisien », selon une déclaration du procureur, alors que le CTR soutient le haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés dans l’enregistrement des demandeurs d’asile, compte tenu de l’approbation des autorités malgré l’absence de loi régissant le droit d’asile en Tunisie.

« Ils cherchent à intimider les associations ».

Le dirigeant du Conseil des Réfugiés Tunisiens (CRT) et un autre membre clé de son équipe ont été pris en détention. La chaine de radio privée, Mosaïque FM, rapporte qu’ils sont soupçonnés d’avoir contribué au logement de migrants illégaux. Ceci suscite l’étonnement étant donné que le CRT collabore avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés afin de cataloguer les requêtes d’asile. Le tout, avec l’approbation des autorités malgré l’absence de législation régulant le droit d’asile en Tunisie.

« Cette mesure représente une étape supplémentaire dans l’intensification de la répression », se préoccupe Salsabil Chellali. « En ciblant ces associations, les autorités cherchent à effrayer ceux qui agissent pour améliorer les conditions de vie difficiles des migrants et des demandeurs d’asile et à mettre fin à tout soutien qu’ils pourraient obtenir en Tunisie. Cette attitude ne fait qu’aggraver davantage leur vulnérabilité ».

Dans son discours prononcé lundi soir, M. Saïed a critiqué certaines associations qui « reçoivent des sommes colossales depuis l’étranger ». « Il n’est pas question de substituer l’autorité de l’État par ces associations », a-t-il déclaré, tout en qualifiant les dirigeants de ces associations de « traîtres » et d' »agents ».

M. Saïed a aussi déclaré « aux dirigeants mondiaux », comme il l’a souvent fait, que « la Tunisie n’est pas un lieu d’installation pour ces personnes et qu’elle se bat pour ne pas devenir un corridor vers les pays situés au nord de la Méditerranée ».

Même si les autorités tunisiennes refusent d’accueillir les migrants, elles continuent de leur interdire de se rendre en Europe grâce à l’aide financière et logistique de l’Union européenne. D’après Houssem Jebabli, le porte-parole de la Garde nationale, qui a communiqué les informations à l’agence de presse Nova, 21 270 migrants ont été stoppés en mer entre le 1er janvier et le 15 avril, soit une augmentation par rapport aux 13 903 interceptés pendant la même période en 2023.

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