Dans une atmosphère solennelle et constante, les mères et les familles des disparus en Turquie se rassemblent devant les barricades de la police face au lycée de Galatasaray, situé sur l’agité avenue piétonnière d’Istiklal. Des œillets rouges à la main, elles exposent silencieusement les photos de leurs êtres chers dont elles n’ont aucune nouvelle. Quel que soit le climat, qu’il soit venteux, pluvieux ou caniculaire, elles se tiennent là, chaque samedi à midi, pendant une demi-heure pour rendre hommage à la mémoire d’un ou deux disparus en énonçant leurs noms à haute voix.
La liste des disparus est longue, parmi eux, Hüsamettin Yaman, un jeune étudiant de 22 ans qui a soudainement disparu après avoir été en garde à vue en mai 1992, Nurettin Yedigöl qui a été vu pour la dernière fois en 1981 dans le centre de torture de Gayrettepe, Kadir Keremoglu, un homme d’affaires de 75 ans kidnappé à Van dans une voiture blanche Taurus à l’immatriculation 01 EA 600 et Sabahattin Ali, un célèbre écrivain et critique du régime dont les détails de la disparition en 1948 sont restés mystérieux et posent encore de nombreuses questions aujourd’hui.
En dépit de l’ampleur du nombre de personnes disparues et de l’écrasement des souffrances imposées par l’État, ces mères et familles se rassemblent sans faute depuis près de mille semaines pour continuer à lutter contre l’oubli. Le 25 mai prochain marquera leur millième manifestation.
Le mouvement des « Mères du samedi », inspiré par les « Mères de la Place de Mai » de Buenos Aires, a débuté en 1995. Cependant, vécu des périodes d’interruption dues à la répression et aux arrestations. En 1999, après avoir subi des violences policières persistantes, elles ont dû cesser leurs actions pour la première fois. Dix ans plus tard, en 2009, les familles et amis des disparus ont repris leurs sit-in, jusqu’à une nouvelle interdiction en 2018. Lors de leur 700e rassemblement, plusieurs participants ont même été menacés de trois ans de prison pour « réunion illégale ».
Après de nombreux appels et recours juridiques, les « Mères du samedi » ont finalement obtenu l’autorisation de se rassembler hebdomadairement, avec une limite de dix personnes par rassemblement, le 3 novembre 2023. Sevda Arcan, qui soutient le mouvement depuis près de trente ans, a déclaré que c’était une « véritable victoire ».
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